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journalier 16 03 15 / le champ

lundi 16 mars 2015, par C Jeanney


 Repense souvent à la conférence de Cécile Portier, donnée autour de son travail, avec le site Étant donnée. Ce moment où elle utilise le mot champ comme lieu d’écriture/exploration, et son désir de ne pas regarder ce territoire en surplomb, surtout pas, de rester travailleuse au sol, et proche. Ce qui ne la prive pas de la mise à distance. Avec ce qu’elle décèle-descelle de la langue, formules, publicités, tournures, ce qu’elle déplie dévoile, l’envers.
L’écart, le pas de côté, rester à niveau, niveau de l’humain et écarter le supérieur, comme nageant dans l’eau, on se place le visage, les yeux à la hauteur de cet endroit privilégié qui sépare eau et air, fine frontière, ligne de flottaison commune (à tous accessible, puisque tous dans la même piscine nous sommes, à patauger).
Ne pas écrire en surplomb, l’expression de Cécile est belle, me reste.
 Ne pas perdre les idées, les traces d’idées. Après avoir tenté les documents provisoires, post-its, notes, que j’oublie d’ouvrir ou de consulter, je prends l’habitude de m’envoyer des mails (du genre "jeparlàmamain").
Pour l’instant ça fonctionne assez bien, je passe moins à côté de ces rappels, vrac d’idées, "ne pas oublier de", ou une phrase prise au vol. Mais à chaque fois, un temps d’hésitation au moment de choisir le destinataire, quand la boîte de messages me propose une suite d’adresses : et si un jour je me trompais, si j’envoyais le mail à une personne non concernée, quelle réaction ? Peut-être une réponse, qui donnerait une autre idée, autre chose à noter, à s’envoyer ? peut-être qu’une correspondance bizarre, gonflée d’imprévus serait déclenchée (et il pourrait y avoir du beau dans cette erreur, ce "par inadvertance", ou assez de ridicule pour m’engloutir, qui sait).
 Deux fois, en peu de temps, j’entends une histoire qui me frappe, la semaine dernière au cours d’une conversation, et hier soir dans une fiction, série tv. À chaque fois c’est un cas d’amnésie antérétrograde (terme peut-être inexact ?).
Les souvenirs du patient qui en souffre sont régulièrement effacés, comme réinitialisés, revenus à leur point de départ. Souvent à la suite d’un choc, d’un coma. C’est le réveil, la joie d’être rentré chez soi, de retrouver les siens, le moment des questions (mais qu’est-ce qui s’est passé ?), le soulagement, l’étonnement. Mais rien de ce moment ne restera imprimé. Le réveil suivant se répétera à l’identique (joie, soulagement, étonnement), et ceci perpétuellement. Ou c’est en changeant de lieu, d’activité, que le patient se réveille, encore une fois, vivant à nouveau ce retour, se retrouvant lui et retrouvant les autres, encore (la joie, l’étonnement, les effusions des retrouvailles).
Une histoire "grand écart", tiraillée entre sa dose de merveilleux et sa dose de terrible. Une renaissance renouvelée suivie d’une mort renouvelée elle aussi, un cycle dont on ne voit pas la fin. Le film Un jour sans fin à vivre, mais sans conscience. Et la douleur des proches qui doivent se surpasser, montrant chaque fois une affection réelle dans la joie forcément neuve de ce réveil du malade. Comme si c’était la première fois. Comme si c’était la première fois, l’expression dans ce cas dotée de deux versants, magie/dévastation. Quoi faire de ça ?

(pendant qu’il y a apparition, disparition)

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(site sous licence Creative Commons BY-NC-SA)

Messages

  • beau
    que faire de ça ?
    vais être (ma spécialité) au ras des choses -, y descendre un peu en tremblant et en silence
    du moins quand on est si démunie face aux interrogations (ce qui n’empêche pas de s’y confronter)
    creuser, quand on en a le courage, sans espérer trouver une vérité

  • Autrefois, parait-il, le mot potager signifiait un meuble, un placard, une sorte de garde-manger où l’on gardait ses potages. J’aime bien croiser les deux significations, l’ancienne et la contemporaine, pour dire ce que nous tentons de serrer dans nos écrits journaliers, la trace de ce qui passe, nos découvertes, nos enthousiasmes, nos questions. Nous ne sommes pas comme cet amnésique-là, mais il y a une forte dose d’amnésie, sans doute vitalement nécessaire, dans toute vie qui va son temps et écrire permet, parfois, de faire en sorte que les trous du tamis laissent passer un tout petit peu moins de choses.
    Nous les cultivons aussi souvent ces traces dans notre potager (bonjour à Lucien Suel) et c’est encore mieux quand parfois les autres viennent jouer leur rôle, qui en apportant un peu de compost, qui de l’eau, qui du marc de café, qui en faisant une bouture ou en suggérant une lecture. Ce serait les commentaires, les mails, les échanges et on peut en effet très bien imaginer qu’ils soient parfois le fruit du hasard.

  • frappée de la coïncidence des mots
    entre ce que j’ai livré aux Cosaques sans frontières ce jour ( en fait dimanche) et ce que je lis chez toi ce jour..merveilleux hasard des mots et des frictions d’univers !

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