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« la vie ça éparpille des fois / ça chélidoine et copeaux / ça bleuit ça noisette » [Maryse Hache / porte mangée 32]

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journalier 04 01 16 / Sonnez trompettes

lundi 4 janvier 2016, par C Jeanney


 en ce moment, en avant première pour les abonnés de Publienet, c’est la sortie d’Oblique en version numérique


 impossible de cacher l’importance de ce texte pour moi, et encore moins la joie immense (et le trac) qui l’accompagne.
 en fin d’epub une bande son, Avec Oblique, réunit les musiques du texte, car Oblique a été écrit en musique [1].


 Oblique version papier paraîtra en février 2016 avec, à la fin de l’ouvrage, un QRCode permettant le téléchargement gratuit de cette version numérique.
 les deux versions sont différentes. C’est le même texte, mais accordé à la spécificité de son support
 version numérique : une mise en forme des fragments alternée, d’un bord à l’autre de l’écran, avec une sorte de tiraillement interne, de respiration qui chercherait son rythme son souffle, comme si le texte secouait la tête


 version papier : deux colonnes, toujours à cause de ce tiraillement, de cette séparation par le milieu qui sous-tend l’écriture d’Oblique, les colonnes créant la possibilité d’une polyphonie dans la lecture, comme elle a existé dans l’écriture


 le même texte sur deux supports différents ne raconte peut-être pas exactement la même chose, un peu comme un même motif change légèrement lorsqu’il est d’une autre couleur, mais peut-être qu’au fond Oblique formerait un tout, qui passerait par ces deux supports (deux bords d’écrans, deux colonnes, deux jambes pour avancer), sans se décider pour l’un ou l’autre, ni se réduire à n’être que l’un ou l’autre
 et pour finir ce journalier, je place ici ce qui inaugure l’epub, la Préface que Guillaume Vissac a eu la gentillesse d’écrire. Je le remercie infiniment, comme je remercie toute l’équipe de Publienet (s’abonner serait une chouette idée j’ajoute), Jean-Yves Fick, le relecteur aux yeux d’or, et Roxane Lecomte & Gwen Catala, duo aux quatre mains magiques.

« Préface

L’écriture du passé est une voix oblique. S’asseoir à côté de quelqu’un qui raconte en un souffle les trajectoires familiales, et c’est tout un flux d’images et de paroles qui se déploie, non pas à la vitesse de la lumière mais à la vitesse de la mémoire. Une mémoire qui, comme la fibre optique, va dans toutes les directions à la fois. Christine Jeanney est ici en prise vive sur le temps.
Lire ce livre c’est l’écouter à voix haute, même en silence. Oblique est dit dans une langue bifide qui fractionnera la page en deux tout du long. La langue alors mène sa barque de part et d’autre du rivage (« mes mains sont allées dans le Styx »), d’une colonne à une autre, d’un bord de page à un autre, pour revivre le périple d’Orphée aux Enfers. L’injonction du mythe, ne te retourne pas, plongée dans l’écriture deviendra la contrainte d’où émerge l’élan du récit. Le son et la musique sont partout, sous la langue, sous le texture, dans l’écho des paroles et le rythme des pas. Ce sont des airs qui plissent dans le craquement des sons en vinyle (la mémoire tient dans ces craquements-là), ce sont des bouts de symphonies, de valses, de concertos qu’on entend bien souvent dans la distorsion qui malaxe les rêves : c’est la musique du passé.

« il y a quelqu’un, ce n’est ni une
fiction ni une question de séduction,
quelqu’un parle, quelqu’un a quelque
chose à dire, un écart qui
s’effectuerait vers le centre / »

Écrit à l’origine comme un texte en fragments, propulsé sur le web comme une création sonore en plusieurs appendices, notamment sur le site de l’aiR Nu, Oblique a poursuivi sa mue et son incarnation en livre passe par la continuité du flux, le rouleau déroulé. Il n’y a pas de pause possible quand le flux du passé (« une plante aux tentacules tenaces ») trouve sa source dans la bouche de quelqu’un, ce « quelqu’un assis à côté de moi et qui parle » qui balise et inspire le récit. Où sommes-nous ? Nous ne sommes pas dans un lieu géographiquement déterminé, nous ne sommes pas dans une époque donnée, nous sommes là dans l’écoute.

« Il faudrait écouter longtemps le
violoncelle, avec lui d’autres, très
nombreux, et qu’ils s’assemblent,
qu’ils caressent les murs à voix basse,
longuement, qu’ils offrent toutes les
nuances, vapeurs fauves, grâces
tremblées, qu’ils tordent et reprennent
les rêves au tout début pour en tenir
les suites, qu’ils cajolent les fronts,
soulagent les paupières, tant de murs,
tant de temps, longtemps les écouter,
sinon comment faire sur cette terre
qui chute pour être consolé. »

« Comme le désir sexuel, la mémoire ne s’arrête jamais », écrit Annie Ernaux dans Les années. « Elle apparie les morts aux vivants, les êtres réels aux imaginaires, le rêve à l’histoire. » L’oblique est un regard que l’on jette derrière soi, à un moment donné, pour pouvoir repartir. La mémoire est notre béquille. Cette voix en nous-mêmes prête à conter la légende familiale et les drames du passé, l’écho des souvenirs, le staccato du flux photographique, nous la portons car « il reste des séquelles des autres corps » en nous. Oblique est l’un de ces livres qui savent à la fois fragmenter la mémoire comme les petits morceaux aimantés de Ligeti et lui donner l’élan du souffle unique, la tension tenue d’une injonction : ne te retourne pas.

« Je n’ai pas raconté d’histoires. La vie
est un fouillis qui tourne en tenant sur
son cœur un morceau de la valse de
Sibelius, parfaitement triste et
parfaitement inimitable. »

Guillaume Vissac »

.

(site sous licence Creative Commons BY-NC-SA)


[1c’était un bain musical constant, au hasard des programmations de radios ou de chaines de musique classique (quand je zappais ce n’était que pour fuir les jingles des publicités).
cette situation particulière a créé un état particulier
parfois, la musique que j’entendais, pourtant non désirée, non appelée, résonnait en force avec mon texte, comme une réponse
et la musique s’est ajoutée au texte en y entrant, directement
ainsi lorsqu’apparaît dans le texte un titre, une œuvre ou le nom d’un compositeur, ce n’est pas un effet de style, ni un ajout décoratif, qui se voudrait savant
c’est que le morceau était là, au moment exact où j’écrivais, et qu’il prenait sa part à l’écriture, en modifiant les mots, encouragements ou ouvertures, il me prodiguait quelque chose qui m’orientait
cette sensation propre à l’écriture d’Oblique, je ne l’ai pas retrouvée depuis
c’était parfois assez perturbant d’ailleurs d’entendre cette "réponse" directe du hasard, mais j’ai fini par trouver ça normal
je me souviens plus particulièrement d’un moment où j’étais en grandes difficultés, engluée, face à mon texte qui me semblait disparate, éparpillé, sans sens : j’ai entendu Ligeti - que je ne connaissais pas - l’étude n° 12, Entrelacs, avec ce rythme ou plusieurs couches se touchent et ricochent, plusieurs fluides entrent en interaction, dans une sorte de vaillance naturelle, et c’était comme s’il m’avait dit "t’inquiète, j’ai bien compris ton histoire de morceaux fracassés, mais peut-être que tout va bien se passer et qu’il suffit de laisser venir", et j’ai écrit
"Ligeti, les petits morceaux se
regroupent, se cherchent, on dirait
qu’ils sont aimantés.
"
en fin de texte se trouve la liste de toutes ces musiques "de compagnie"/chaleureuses/importantes/secourables, et ce sont elles qui forment la bande son Avec Oblique

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