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« la vie ça éparpille des fois / ça chélidoine et copeaux / ça bleuit ça noisette » [Maryse Hache / porte mangée 32]

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du pourquoi pas

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journalier 06 01 16 /

mercredi 6 janvier 2016, par C Jeanney


on devrait tous s’arrêter
plus un geste
on lâche les sacs  les poignées de porte  les volants
et toutes les haches et toutes les haches

rien dans les mains et les bras allongés de chaque côté
plus un geste
tête droite le regard vide
rien qui fasse sursauter ni sourire    tant que

ou s’asseoir
on devrait tous s’asseoir
à l’endroit exact où on est
là  sur le sol
sur les marches  les pavés
devant les banques  les magasins de fleurs
sur les places  dans les ruelles devant les jardinières de pensées blanches et les canettes de bière vides  les mégots
tous assis
même le livreur de pizza
les écoliers avec leurs sacs
l’agent de change  la coiffeuse
même dans les appartements les maisons
les salons les salles de bain les chiottes
sur les chaises les divans
devant les télés les ordinateurs les écrans figés sur la page bienvenue
assis

sans regarder l’heure
ni à sa montre ni à son téléphone ni à la pendule ni à l’horloge du four
et ça peut bien tourner ces aiguilles ou ces chiffres rouges on ne se lèvera pas
on ne prendra pas l’ascenseur
on n’ira pas dans les escalators les garages les bureaux les camions qui livrent des palettes de primeurs choux-fleurs tomates et pommes de terre
on n’ira pas dans les cahutes qui servent à payer l’autoroute
entre deux collines
les traits discontinus des phares et des feux stop
on n’ira pas au troisième étage ni au quatrième ni au dixième faire des échographies des scanners
on restera assis
les météorologues assis devant l’anticyclone des açores
les photographes assis le dos tourné à rachida dati

jusqu’à ce que
jusqu’au jour translucide
au jour sevré d’humiliations  bras retournés  gestes de hargne du menton
un jour très pâle
d’une couleur plus pure que les autres

ce jour-là
les victimes seraient reconnues
et aidés ceux qui marchent toute leur vie dans un sac
qui marchent pourchassés par les gueules gun j’vais chercher mon gun

un jour très pâle
s’arrêter tous
et s’asseoir
tant que
tant que les corps d’enfants noyés s’échouent
les rescapés s’endorment dans la boue
ne pas se lever
plus faire un geste
seulement crier
un cri qui part du bas
qui utilise la colonne d’air du fond du ventre jusqu’aux cordes vocales  comme un piston
continuellement

imagine que tous on s’arrête    sans bouger
sans plus nourrir la grande machine à divertir
à excaver la mort
assis
sans plus participer au système organique qui mange nos jambes membres cheveux et poils organes
la grande grève
le grand chantage qui dit sans moi
sans nous
qui dit je n’appuierai pas sur la tête de qui rêve de vivre pour qu’il crève parce que c’est bon pour les affaires
sans moi
les mannequins anorexiques d’arts de la table de poker de transfert de révélations sur bryan boby shany botox peeling sans moi

ceux s’arrêteraient seraient tous ceux qui comprendraient pourquoi
les autres prendraient la suite
on verrait vite ceux qui ne s’arrêtent pas
ils seraient surpris
ils se poseraient des questions pour comment faire pour que ça continue  leurs affaires
pour qu’une vache donne plus de lait il faut qu’elle soit heureuse ils se diraient
alors ils changeraient le sens des aiguilles peut-être
pendant que nous on tient tous     assis      dans la durée
ceux qui ne s’arrêteraient pas parleraient du jour pâle entre eux
en chuchotant
comme d’une possible catastrophe
inquiets tout de même
mais tout de même résignés
à prendre en compte
parce qu’on serait tous assis    dans la durée
et ce jour pâle entraînerait la suite
toute la suite

elle est nombreuse la suite
des détenus en chine à qui on prélève des organes la cia des expériences médicales journalistes assassinés élections sous kalachnikovs peines capitales enlèvements racket terreur organisée
bien trop nombreuse la suite
trop difficile de faire la liste sans oublier un détail qui fasse somme
on aura le temps d’y penser
une fois tous assis sans bouger

on ajoutera des paragraphes et des paragraphes à parapher par ceux qui s’activent à faire vivre la grande machine
les noms
on ajoutera
les noms et les prénoms à ne pas toucher
samir wubeshet zebiba george saleh sadik ganet remigio mayaz riad colton
ça sera une liste longue
latasha haydee caroline jeffrey joseph nealo alhaji atia xiuhua awatif yang yan
si longue
tu dis que ce n’est pas possible    tu as raison
tu ne dis pas ça méchamment
et je te crois

tu parles de dormir tranquille
qu’on ne peut pas
ce qu’on devrait
ce qu’on pourrait
les paroles qu’on s’échangent en marchant  parce qu’on ne sait ni s’assoir ni dormir

n’empêche  on devrait tous s’arrêter

.

(site sous licence Creative Commons BY-NC-SA)

Messages

  • OUI
    seulement, ouin c’est un rêve (ma vieille expérience, pardon, me dit que chaque fois qu’on en décide - sauf peut être quand il y a une charpente comme un syndicat qui surveille - on finit par se retrouver à deux ou trois (à l’école je me retrouvais seule) les autres faiblissant en route, pauvres choses que nous sommes les humains)… enfin peut être qu’à force cette fois ci serait la bonne
    il y a déjà eu l’année 0… pas duré mais on en parle encore
    oui on devrait

  • On devrait arrêter aussi Internet
    toutes les infos que l’on voit
    ou que l’on donne
    fermer les écrans
    tour de vis
    bazarder
    dans le
    calme
    net

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