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« la vie ça éparpille des fois / ça chélidoine et copeaux / ça bleuit ça noisette » [Maryse Hache / porte mangée 32]

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petite cosmogonie des directions

lundi 17 octobre 2016, par C Jeanney


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Pour aller là-bas, elle a dû sortir de cette cour intérieure qui lui est maintenant habituelle, qui fait fonction de sas, une sorte de quadrilatère ajouré par lequel peuvent passer ou rester subtilement éloignés les cris des passants, de leurs enfants surtout, les moteurs, marche-avant marche-arrière, les bacs solide des poubelles de restaurant qui sonnent infiniment creux, rien qu’à l’oreille on pourrait imaginer qu’un tunnel s’enfonce depuis eux, depuis l’intérieur du bac, un tunnel qui s’écarte et ouvre sur un espace sans dimensions qualifiables ou quantifiables, en tout cas ça fait plus de bruit qu’une poubelle d’appartement, sac-jaune, sac-noir, sauf celui qui ne sera pas ramassé parce qu’au moment de le soulever ils ont entendu le verre cogner à l’intérieur, son espace réduit.
Elle a pris cette avenue en pente qui passe devant le toit de la sorcière qu’on peut louer bed & breakfast. Après le rond point de la gare elle a continué sans hésiter, a bien pensé à prendre à droite après le parking du magasin de bricolage où ils vendent du carrelage, les plaques sont immenses, debout, c’est comme ceux qui vendent des piscines qu’ils exposent debout comme posées sur des étagères, sans que la question de la peinture bleue et salie qui casse le rêve d’être riche apparaisse. Ensuite c’était l’espace fitness rose derrière le bar qui a été un hôtel bien avant, ça se voyait à la peinture sur les briques, les lettres avec le nom ancien, puis le parking, puis c’était tout, lancée tout droit, elle était sur la route de là-bas. Des fermes avec des géraniums, des haies, des murs avec des meurtrières qui ne serviraient pas au meurtre, décoratives, de temps en temps des trouées sur des champs, des trouées sur des pâturages, des trouées sur des hangars éloignés pas plus grands que la taille de la main. Des maisons isolées sur fond jaune, des grillages, des poteaux et des arbres fruitiers, des cyclistes. Aussi un cheval debout, sa tête en direction de là-bas, et dans son dos une sorte de marais, aussi des volets blancs et des hachures peintes sur le sol pour que les gens ralentissent. Au moment où sans le savoir on est un peu en hauteur, on découvre cette hauteur parce qu’on en surplombe un détail, un long trait bleu, ou gris, ou gris bleuté, qui s’inscrit parfaitement entre deux arbres, deux maisons isolées, deux champs jaunes. C’est ce moment-là qu’elle cherchait à atteindre et pas cette destination. Elle voulait ce moment d’une hauteur pas encore sue mais découverte, comme l’arrivée fantastique d’un griffon, d’un dieu mythologique. Ce moment-là ne ressemblait à rien. Non pas à rien, ce moment là n’était pas comparable. Il n’était pas « incomparable », parce que c’est un mot usagé, qui baisse la hauteur d’un cran, et qui aplatit tout, un mot qui n’est pas en 3d. Ensuite, ce moment-là, comme elle rentrait chez elle, elle lui tournait le dos. Le cheval, lui, avait gardé la même position, tout le temps, il était blanc, comme celui dans le film Un homme qui dort, celui qui tombe frappé d’un coup, de toute sa masse, mort, en une seconde, la tête dans la même direction.

(vidéolecture ci-dessous)


précédemment
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2
J’ai pensé (...)
3
Je lis la correspondance (...) avec [vidéolecture]
4
Il a dit « J’ai fait un drôle de rêve (...)
5
La-gestuelle (...)
6
La nuit, la cuisine du restaurant (...) avec vidéolecture
7
Pour faire de petites cosmogonies (...)
8
petite cosmogonie de la poste
9
petite cosmogonie de je ne sais pas si je

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Messages

  • petit vieille pas trop trébuchante a suivi de loin, sans trop se cacher, avec le plaisir de la curiosité, et le plaisir tout court, les directions par les yeux lisant, et puis les images en décalage accru mais qu’elle a aimées, et pour retrouver les géraniums a suivi la voix vers le moment de l’arrivée fantastique en hauteur..
    et dit bravo

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