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« la vie ça éparpille des fois / ça chélidoine et copeaux / ça bleuit ça noisette » [Maryse Hache / porte mangée 32]

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journalier 19 11 16 / temps perpétuel

samedi 19 novembre 2016, par C Jeanney


 cette semaine (et la précédente) c’est traduire qui s’est mis tout devant
 remaniée une ancienne traduction, et il y a quelque chose qui se passe avec le temps, une sorte de rapport-résultat d’équation, il faudrait écrire les signes mathématiques qui le prouvent
 le temps du texte à traduire est perpétuel
il sera lui, tel qu’il est, perpétuellement
la traduction est un accommodement raisonnable de l’instant où elle se pratique, elle peut se faner, ou être décalée, parce qu’on a compris autre chose entre temps (on pourrait retraduire le même texte chaque matin, et voir se modifier, selon que, selon ci, selon ça, comme une donnée thermique qui indiquerait l’état du corps, à l’instant t)
 et soi dans la traduction : soi et sa façon d’appréhender le monde, parce qu’un texte qu’on traduit est une voix, et une voix est un monde, et quelle tête on fait, soi, là au milieu (et en quoi cette tête change, et qu’est-ce que ça change qu’elle change, comment se débrouille-t-on de ses propres modifications)
 est-ce qu’on traduit méticuleux, comme celui qui tient un herbier, en cherchant tous les noms latins, en annotant avec les dates précises, ou est-ce qu’on est fouillis et enveloppant, fouillis-vivant et d’égal à égal, on se pose là, mais comment
 est-ce qu’on est du genre à placer bien en vue la légitimité qu’on a (travail de spécialiste – c’est terrible d’être un spécialiste – Sherlock disait que le cerveau n’est pas un organe extensible et qu’il faut décider de faire l’impasse pour pouvoir se remplir – un spécialiste vise la saturation – c’est un peu immobile la saturation, un peu monolithe, un peu bloc, un peu là et puis quoi – une fois saturé, qu’est-ce qu’on fait, est-ce qu’on arrive encore à marcher ou est-ce qu’on est lesté de poids comme les scaphandriers du XIXe) (et pourquoi fait-on ça au fait, pourquoi décide-t-on de se saturer soi, de quoi a-t-on peur, de quel jugement, de quel père ou quel pair invisible on tente de se faire bien voir, quel professeur tatillon agite sa craie et son chiffon et remettra des prix à la fin de l’année aux meilleurs saturés) (quel bon élève on est) (ou quel mauvais) et pourquoi moi je ne veux être spécialiste de rien, pourquoi je préfère le tentaculaire au grand A petit c, le périphérique à la main courante ("les nuages, les merveilleux nuages" comme je l’ai entendu sur fc, les suivre des yeux en voiture plutôt que de polariser sur le point d’arrivée)
 est-ce qu’on traduit pareil une voix qui entre en soi, aussi finement qu’une pensée intime avec l’aiguillon de données inexprimables et évidentes, et une voix posée dans une vitrine
 le degré de l’approche, comment ça joue et sur quels fils ça tire
 et pourquoi traduire Virginia Woolf m’apporte toujours une sorte d’adrénaline comme, je suppose, les sportifs le ressentent
 est-ce que traduire ce n’est pas se laisser emporter, en déposant les armes, un peu (en s’adossant à l’épaule de quelqu’un, sa voix en présent constant, rassurante, perpétuelle)
 alors traduire serait toujours initiatique
(comme vivre, finalement) (lire-écrire-traduire-vivre, c’est toudil’même comme ça se dit là-haut, dans les Hauts de France)

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(site sous licence Creative Commons BY-NC-SA)

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