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« la vie ça éparpille des fois / ça chélidoine et copeaux / ça bleuit ça noisette » [Maryse Hache / porte mangée 32]

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Brigite Célérier dans Tentative de vieillir (novembre 2009)

jeudi 5 novembre 2009, par C Jeanney

ce jour, un échange entre ici et Paumée
(le blog où Brigitte Célérier se dit "dépassée - et pourtant s’essaie aussi à un jugement sur le monde, à sa petite échelle")

tentative de vieillir

Avoir longtemps cheminé – avoir aimé, perdu, oublié – avoir appris à penser, l’avoir fait, ou pour le moins l’avoir cru – avoir traversé de loin (même si plongée au coeur, en corps ou en esprit) les bouleversements du monde – et avoir glissé sans le sentir d’un âge à l’autre jusqu’à ne plus pouvoir faire comprendre, par ces mots qui se sont modifiés, la matérialité de l’univers où vous avez grandi, ne plus pouvoir le faire toucher, sentir et ne plus le connaître, n’en savoir le goût que par éclairs, quand une photo amène l’odeur de l’encre sur les doigts ou de la vapeur moutonnant dans la gare, quand la vue d’un sarrau sur un bout d’écossais plissé fait que le froid piquant revienne sur vos genoux et que vous mettiez un moment à comprendre qu’il est scandaleux d’interdire la cigarette ou les pantalons au lycée – n’avoir pas créé, ni êtres, ni choses, ni idées.
Retrouver des visages perdus et voir dans leurs yeux se ruer vos rides et votre corps à l’assaut de l’image d’une enfant qui disparaît - parfois renouer, avec une joie légère, tendre et sincère, des complicités qui n’ont peut être jamais existé.
Avoir glissé au long des ans, sans les voir, sans grandes actions ni aventures, et garder en vous des chemins qui suivent un ruisseau, une plage, des rues, beaucoup de rues qui se croisent, qui se modifient, des arbres et des objets, le contact d’un pain de glace, le poids d’un petit bidon plein de lait dansant sous son anse, les jupons de crin, les escarpins troués, les jupes droites et grises et les twin-sets en attente d’un collier de perles, les surprise parties dans des maisons au dessus de la mer où vous vous êtes si tragiquement ennuyée, les robes longues en laine que vous étiez quelques unes à porter au milieu des dernières très courtes jupes claires et la recherche des quelques pièces manquantes pour aller voir un film au Champolion ou, le weekend end, au Mac Mahon – plus loin, plus tard, une éclosion, un groupe, un amour discret dont vous ne savez plus exactement ce qu’ils étaient en réalité, ou ce qu’on nomme ainsi – et puis une accélération indistincte.
Demeurer tranquille, ou le voulant, au bord de l’agitation, vous réduisant, mais grosse de mots effilochés, de convictions devenues étranges, de sensations évanouies, de traces de livres, de tableaux, de vos pas dans des salles, d’architectures, d’odeurs de terre gorgée de pluie, de poussière et de sable mouillé, de musiques et de morts, de tant de morts.
Avoir des sursauts, des colères, des joies brusques, mais ne pas bouger, ne pas brusquer ce paquet que la vie vous a confié – attendre avec une plénitude un peu bovine.

Brigitte Célérier

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