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« la vie ça éparpille des fois / ça chélidoine et copeaux / ça bleuit ça noisette » [Maryse Hache / porte mangée 32]

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Camille Philibert-Rossignol (#vaseco de décembre)

dimanche 6 novembre 2011, par C Jeanney

Mille deux mots et des poussières...

Pour les vases communicants de décembre 2011 avec Christine, je cherche un thème en rapport avec mes dernières contributions sur les 807. Pendant quinze jours, je prends des notes éparses. Dans le brouillard. Je pense à autre chose. Hier soir en rentrant du cours de théâtre, un chantier nocturne, des lumières derrière le pare brise, quelques images. De quoi faire la vidéo qui accompagne le texte dans le présent. Certaines fois, les images d’abord. C’est le cas ce soir. Montage fini, 2mn16. Ca tombe bien, sous la main un morceau de 2’15. Pour le première fois je place la vidéo en premier, dans la chronologie de la fabrication.

La grande descente.

L’Autre aimait la vie plus que chacun d’entre nous. Dans cette galerie profonde je le reconnais malgré son allure désincarnée. La dernière fois que je l’ai vu, il y a plusieurs années, il marchait droit sur la plage. Il souriait. Torse en avant, larges épaules baissées, visage tourné vers le soleil. Son corps était la plus parfaite création des dieux ; c’était le plus beau. Mon héros. Le plus fort. Ton héros. Notre tueur. L’Autre, dieu vivant de notre peuple. Aujourd’hui réduit à une ombre flottante. Il n’y a que ses yeux qui n’ont pas changé, noirs et incroyablement brillants dans cette obscurité putride.

Christine propose d’écrire sa contribution à partir des mots les plus utilisés de mon blog. Pourquoi pas ? J’avais un peu prévu de faire une sextine, pourquoi pas deux.http://www.oulipo.net/contraintes/docs/n-ine. Écrire une sextine avec les six mots les plus utilisés qui sont : Fois. Encore. Deux. Plus. Air. Nez ; ce qui donne utiliser ces mots dans l’histoire dans cet ordre, issu d’une spirale récessive. (Quand je suis dans le gaz, j’ai remarqué que les sextines étaient toujours inspirantes, quoique les mots sortis me semblent un peu plats, mais peut-être vont-ils permettre au récit coincé d’émerger ?) ;Nez. Fois. Air. Encore. Plus. Deux ; Deux. Nez. Plus. Fois. Encore. Air ; Air. Deux. Encore. Nez. Fois. Plus ; Plus. Air. Fois. Deux. Nez. Encore ; Encore. Plus. Nez. Air. Deux. Fois.

Une fois de trop, enfermé ici, j’ai encore envie de te fuir et de prendre mes deux jambes à mon cou ; plus loin courir, retrouver l’air frais du dehors, nez au vent. J’ai le nez creux, une fois n’est pas coutume, quand ce héros déchu à l’air perdu hésite et que je l’encourage d’un geste de la main, en remarquant qu’il existe encore entre lui et toi une amitié qui réchauffe ce lieu glacial, de plus vous portez tous les deux la même armure rouillée. En deux temps, trois mouvements je te tire les vers du nez, tu dis qu’il n’y a jamais eu plus héroique que lui sur terre, c’est la première fois que tu parles comme ça d’un ami, ça me donne encore des frissons d’y penser, à moins que ce ne soit le courant d’air qui s’exhale du fond du gouffre. Je me souviens, son féroce air de fauve après avoir tué deux ennemis, encore que tu ais repéré une sorte de regret dans ses yeux, l’Autre avait vaincu les doigts dans le nez, une fois de plus, et alors ? Sur les champs de bataille, plus il aspergeait l’air de sang frais, plus une nostalgie furtive troublait ses traits ; comme cette fois où ses deux yeux cherchaient les tiens en même temps qu’il soulevait une tête tranchée sans nez, pour impressionner nos hommes encore. Encore une bravade, contrairement à ici où il courbe plus la tête que jamais, tu le fixes, fasciné de le revoir pendant que je pense à tenter de prendre la poudre d’escampette à ton nez et ta barbe, démangé par l’envie d’enfin m’arracher, fuir cet air infernal, deux fois plus puant que n’importe quel tas de fumier.

J’avais trouvé cette phrase pîle dans l’histoire que je souhaite écrire : Ne cherche pas à me consoler du trépas, j’ aimerai mieux, simple cultivateur, servir un homme pauvre. Elle sonnait bien. En retirant les six mots qui me frappent pour faire une deuxième sextine, ça donne : cherche, consoler, trépas, aimerai, simple, cultivateur ; cultivateur, cherche, simple, consoler, aimerai, trépas ; trépas, cultivateur, aimerai, cherche, consoler, simple ; simple, trépas, consoler, cultivateur, cherche, aimerai ; aimerai, simple, cherche, trépas, cultivateur, consoler ; consoler, aimerai, cultivateur, simple, trépas, cherche. Ca paraît plus évocateur comme vocabulaire, mais vais-je réussir à boucler cet épisode avec une dernière sextine comprenant des sens aussi précis ? Cultivateur six fois de suite, peut-être faire lourd ? Pas d’idées, fatigue. Une sextine comme un champ dont je vais creuser les sillons.

Du regard, je cherche la sortie de la galerie étroite où nous avons rencontré l’Autre presque méconnaissable, ce n’est pas cet épave qui ne me consolera de cette galère où tu m’as entrainé ; et Lui, terreur de nos ennemis, qui commence à me gaver avec ses trémolos sur son trépas, qui aimerai réécrire son histoire, comme quoi il regrette de ne pas avoir pu vivre simple ; même cultivateur il trouve ça mieux que guerrier maintenant, (n’importe quoi les états d’âme d’un héros). Mon père était cultivateur, j’ai toujours cherché à fuir la terre, c’est simple de troquer la charrue contre la lance, plus l’affrontement est sanglant plus il console de ne plus labourer sa peine et l’odeur putride de la terre au petit matin ; l’Autre qui a eu tout ce qu’un gueux peut rêver, richesses, honneurs et chars, sacrifices et femmes aimerai maintenant être un bouseux comme moi, mais qu’il s’enfonce profond dans son trou de trépas et se la boucle. Que son trépas concerne aussi sa bouche déblatérant toutes ses conneries olympiques ; le cultivateur lui est taiseux de nature, avec souvent souvent l’estomac dans les talons, sans une plainte ; j’aimerais que tu lui répliques une phrase qui le cloue, comment lui dire qu’on ne peut pas avoir été et être encore ; mais entrainé par ta faiblesse tu tentes de le consoler d’un geste simple de la main. La plus sanguinaire des guerres est plus simple que les limbes où nous nous sommes éternisés loin du soleil et d’Apollon, celui qui aspirait au trépas de ce type livide plus qu’à tout ; cultivateur infatigable du compromis tu cherches à nouer une connivence entre lui, l’idole et moi, le pèquenot, sur le thème de l’amitié, tu aimerais tellement que tout aille de soi. Moi, j’aimerai qu’on se taille jusqu’à la porte où y a le gros clebs, ce serait si simple de tourner les talons, mon coeur ne cherche que l’ air salé du large, promesse d’aventures nouvelles ou de trépas dans les eaux déchaînées, mais promesse de guerrier embarqué sur un sol instable de navire et non de cultivateur embourbé dans un champs étroit ; moi dont pas un seul fait d’arme n’a été haut ni n’a consolé mon père de l’avoir laissé ( faut avouer que je n’ai jamais fais face avec la grâce de l’Autre ). Rien de la terre ou de ses souterrains ne peut consoler un homme comme moi, toi tu aimerais ton île, le fantôme s’abrite de l’éternité en se rêvant cultivateur, et moi c’est simple, sans peur du trépas mais et c’est mon talon d’Achille, épouvanté par l’oppression de ces galeries, vite, vite, je fais volte-face et me mets à courir, remontant la pente, vers une lueur grise, poussiéreuse, opaque, une lueur.

Camille Philibert-Rossignol

(ma contribution visible sur son blog)

Les autres participants à ce vase communicant du mois sont visibles et visitables depuis ICI, grâce à Brigitte Célérier.”

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