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« la vie ça éparpille des fois / ça chélidoine et copeaux / ça bleuit ça noisette » [Maryse Hache / porte mangée 32]

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[à l’intime (et roumégations)]

traverser la piscine

vendredi 11 janvier 2013, par C Jeanney

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Il y a un mois maintenant (ou à peu près) (ou presque) (ou pas loin), j’ai lu
"tout portrait peint compréhensivement est un portrait de l’artiste".

C’était dans la traduction anonyme et facilement accessible du Portrait de Dorian Gray.
Franchement, me suis-je dis, avec tout l’à propos qui me caractérise, "compréhensivement" ?
sûr de sûr ?
Houla.

Et puis j’ai imaginé Oscar Wilde. Il doit bien rester quelque part, dans l’air, dans l’espace, dans les nuées ou somewhere else, de petites particules qui viennent de lui, ses atomes dispersés qui grognent et qui cliquettent et qui se craquellent devant l’idée qui serait sienne, d’un peintre en train de peindre "compréhensivement".

Alors, c’était comme dans la file d’attente, ramasser le papier qu’a fait tomber quelqu’un devant pour le lui rendre, ni une ni deux, j’ai commencé à (re)traduire le Portrait de Dorian Gray.

Comme ce Portrait, dans le roman, possède des caractéristiques paranormales et que les atomes circulent entre eux plus vite que l’escampette en poudre, je me suis retrouvée engloutie, incapable de rien d’autre, absolument, que de traduire ce texte, d’éplucher les diverses versions anglaises disponibles existantes, et de sélectionner peut-être celle que j’ai trouvé la plus brillante, la plus fine, la plus lame de couteau, pour ensuite tenter de l’astiquer avec mes petits chiffons et dictionnaires.

Dans cette version, les chapitres sont au nombre de 13, et la mécanique de l’horloge ne laisse pas le temps de regarder ailleurs, car tout s’enchaîne, irrémédiable, c’est une version serrée (au sens qu’on donne quand on parle de café, c’est fort).

J’ai travaillé presque huit heures par jour dessus, mais ce n’est pas le nombre d’heures qui m’étonne, c’est plutôt cet état, pour moi jamais connu avant, d’être dans une pièce où tout ce qui arrive résonne vers un seul point, volets fermés, un peu comme dans une piscine municipale, il y a des bruits et des échos et des pieds nus et des bouées et le maître-nageur qui passe, mais c’est l’eau bleue au centre qui avale tout, c’est pour elle qu’on est là, c’est d’elle qu’on s’approche, elle qu’on quitte, elle dont on parle, c’est elle le centre du sujet.
Autour, dehors, on sait qu’il y a la rue avec d’autres sujets, des arbres, des gens, de belles traversées à faire, mais le couvercle de la piscine (parce qu’elle est ronde) empêche qu’on rejoigne l’autour et le dehors.
C’est curieux, c’est étrange (comme dirait Oscar Wilde qui aime utiliser ces adjectifs comme un joueur de cartes ou de dés, en imitant la nonchalance) (et elle est très bien imitée, mais elle est fausse) (il n’y a rien de plus sérieux parfois, que les cartes ou les dés de Wilde, c’est ce que je crois avoir compris).

J’ai encore des relectures à faire, déplacer des virgules, modifier des articles, mais je crois que ça y est, j’ai traversé la piscine.
(pour poursuivre ma métaphore, je préviens, c’était pas impérial, pas de la nage synchronisée avec figures acrobatiques et double axel à paillettes, mais je n’ai pas coulé, et pas trop bu la tasse, j’ai traversé. On va dire que maintenant je suis sur le bord, un peu moulue, et j’ai vu l’heure, le maître-nageur va bientôt dire "on ferme".)

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