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« la vie ça éparpille des fois / ça chélidoine et copeaux / ça bleuit ça noisette » [Maryse Hache / porte mangée 32]

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[alvéole]

ligne de mire

mardi 22 janvier 2013, par C Jeanney

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Chacun pris dans une alvéole. Celle du bruit, celle de la vue.

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Une fenêtre toujours en ligne de mire, une fenêtre, porte-fenêtre, qui invitait à s’avancer sur le balcon – chose qu’il ne faisait pas ou rarement, le souffle de l’air extérieur qui lui frôlait le cou ou les cheveux le dérangeait ; ou plutôt lui faisait de la peine, la sensation d’un inconfort, la même que l’on a lorsque les mains restent trop longtemps dans l’eau froide, ou ce que l’on ressent quand les vêtements sont trop serrés, qu’ils empêchent que le corps s’oublie, qu’ils insistent sur les jointures et les pliures des coudes ou des poignets, quand l’envergure des bras coince aux épaules, que la machine des clavicules se serre et s’arrondit sous la matière-fardeau ; que les pensées se focalisent sur ces frottements, ces mouvements abrasifs qui font s’effriter les cellules et les rabotent un peu plus chaque jour. Minutieusement, sans possibilité de parade, sans ménagements. La seule issue étant la fuite devant cet air néfaste du dehors, cet air en liberté que les murs ne savent pas bloquer (il y pensait souvent, qu’il n’y avait pas assez de murs) – cette fenêtre en ligne de mire, toujours, était comme la promesse d’un dehors fluide, débarrassé de ses épines, poussières, scories incommodantes, dehors réduit à l’essentiel. C’était la vue qui lavait toutes les choses et leur donnait du sens. L’arbre n’était plus rugueux ou humide de mousse, mais majestueux et sobre et inventif dans ses variations de couleurs. Le sol n’était plus dur ou froid ou le support d’une solitude gauche, mais recouvert de dunes molles de neige, un tissu étalé et joli. La maison abandonnée, juste à côté, offrait son toit et ses fenêtres vides comme un livre d’images. Son escalier de pierres, et les treillis près de l’entrée censés supporter une plante grimpante, rappelaient la fée du puits et les ronces du bois dormant. La vue dessinait la magie et les étoiles clignotantes, les fins morales en récompense de la bonté, la vilenie cracheuse de vipères, de crapauds boursouflés. La vue lissait, le papier devenait brillant, glacé, et l’on pouvait tourner les pages. Sur place, la vérité de cette maison était boueuse, briques cassées, branches d’arbre fendues, vieux prospectus terriblement médiocres pliés et délavés, et la matière, toute cette matière posée sans artifices, rudement, de guingois, matière stérile et inutile, fracturée et coupante, une matière morte d’ennui dans l’absolue indifférence de tous. Lui la voyait et l’habillait, ses yeux lui rendaient sa fraîcheur, la naïveté de fils imaginaires tissait un monde nettoyé et pur.

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