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« la vie ça éparpille des fois / ça chélidoine et copeaux / ça bleuit ça noisette » [Maryse Hache / porte mangée 32]

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Anna Jouy dans Mémoire (#vasesco d’octobre 2013)

vendredi 4 octobre 2013, par C Jeanney

« (...) pourquoi ne pas imaginer, le 1er vendredi de chaque mois, une sorte d’échange généralisé, chacun écrivant chez un autre- ? Suis sûr qu’on y découvrirait des nouveaux sites (...) ». François Bon et Scriptopolis ont lancé l’idée des Vases Communicants.

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Chaque #vaseco est singulier (ceci est une tautologie),
et l’échange d’aujourd’hui, entre tentatives et Mots sous l’aube est très particulier
j’aime beaucoup l’écriture d’Anna Jouy (@annajouy sur twitter), cette façon qu’elle a de brasser large sous les thèmes personnels, utilisant des mots que rien ne destinait à s’assembler, mais qui résonnent en nous, font écho, nous plongent dans des endroits que nous avions oubliés, vers des sensations perdues, réinventées, renaissantes grâce à elle

Pour ce vase, nous avons choisi de faire un chemin commun, une tresse : pendant plusieurs jours nous avons échangé des mails, ajoutant une phrase à celle que l’autre nous envoyait
nous écrivions ainsi côte à côte, nous adressant toutes les deux à la même figure fantomatique, la Mémoire
à la fin de notre "duo", chacune a pris la parole seule

voilà aujourd’hui le texte d’Anna Jouy
notre tresse, suivie de sa parole

j’aime cette idée de tissage, ensemble
(nous étions comme deux fileuses le soir à la chandelle :-))
et le texte obtenu impossible à créer sans l’expérience des #vasescommunicants
Merci à Anna pour cet échange, fluide et intense à la fois.

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Mémoire


Mémoire sais-tu que je te pense en creux, en trous, en vide, que je te convoque à ma table pour évoquer l’épars ?

Viens t’installer et n’aie pas peur, nous ne te voulons pas de mal. Juste te dire. Il y a tant.

Tes lèpres lumineuses, tes mites de jours enfouis, ces dentelles sur ma parole, je les connais et les aime.

Tes trous, tes épines, tes broussailles, et l’autre jour je te cherchais, je le cherchais à travers toi, le disparu.

Oui. Prends place dans le silence, laisse-moi te confier : tu détiens un miracle, le faire revenir...

Tu le réveilles, il fait comme si de rien n’était, il n’a pas froid et il nous parle. Comme si la mort était passée sans le toucher. Tu le réveilles intact, et pourtant différent.

Il a revêtu cette chemise parfaite et des traits bien coupés, cousus à même ma peau, sur la bête amoureuse. Il est brûlant

Il est le père le frère l’enfant, il est le regard qu’il lançait et la main avancée, il est le dos qui va en s’éloignant. Ses préférences. Sa voix. Et lui, petit, que nous ne connaissons pas.

Mémoire, je sais tu le gardes, multiple, varié, ce que j’en savais et pareil tout ce que de lui je n’ai jamais compris

et comme tu te maquilles en le montrant, robes de chair, ou coques d’étincelles brillantes d’insecte au soleil, ce que tu offres et changes en un instant

Tu fais de l’absence des moires et le catalogue vertueux du bonheur. pourtant, je voudrais parfois laisser "fieler" mon âpre chagrin. la perte injuste..


Tu te tiens grave et tu restes debout. Tu ne juges plus maintenant. Tu tisses et tu détricotes, tu brodes le motif et tu coupes ses fils, inlassablement, comme on veille.

Toi étamine aux mailles lâches qui laissent couler les fleuves et gardent les prunelles des beaux jours, dans l’étoffe du temps


Tu m’insupportes. une étourdie. une radoteuse de mauvaise foi, quand tu fabriques du sable avec des riens, ou des pavés dodus, des crasses, quand ton nom est Mensonge

Quand je te pense fiable et que tes clichés ne sont que travestis, images botoxées et légendes en silicone

Et ces flous que tu laisses, volontairement, cette pellicule indécollable, cette crasse diaphane, ça mange la moitié des gestes et creuse les visages - ça fait sombrer les voix qu’on ne peut pas reconstruire

Combien de cloche-pied sur tes absences, combien de sursauts claudiquant pour remonter le cours de ma rivière


Mémoire, nous étions assises l’une en face de l’autre. Tu avais pris étrange figure, celle d’un vieil homme. Il ne savait rien. Il racontait, comme on dit des généralités, des choses déjà connues, des formules, des hypothèses irréelles. Mais il bêchait le bitume sans même s’en rendre compte. La route palissadée de la vie claquait sous le bâton de ce pèlerin inattendu. Et plus il avançait, plus il remontait loin dans les strates horizontales de la mienne.
Mémoire, c’est le rendez-vous que tu m’avais donné. Ce vis-à-vis banal, à cette heure grappillée sur quelques biscuits secs dans une salle sordide. Tu te glissais entre les mots du vieux, tu t’insinuais faisant miroiter devant moi des éclats de lumière. Sorcellerie, magie, numéro de prestidigitateur, les mots de l’homme se contorsionnaient dans un grand jeu de passe- passe.
Je fronçais les yeux. Hypnotisée. Oui, on se laisse avaler par le boa illusionniste et ses reptations quand on a soudain l’intuition du miracle.
Il était comme ta marionnette, toi mémoire, articulant ses lèvres fantoches. Et moi en spectatrice. Tu remontais les zones épaisses, les couches duveteuses de mon histoire, kapok étouffant à déchirer ce jour-là. Tu me fixais sans me regarder, me traversais sans me savoir. Lui, était bien loin de comprendre ce qu’il me donnait à saisir, passant bavard. Oui mémoire, habillée de ses paroles, tu revenais vers moi .Enfin…
Nous allions rechercher, ce jour-là, quelqu’un que j’avais oublié là-bas très loin dans un coude sec de la route .
L’homme se leva. Sans doute n’eut-il pas conscience d’avoir été le prêtre vaudou ramenant à ma porte mon âme qu’il fallait désenvoûter de la mort.

Anna Jouy
qui prend ma place
comme je prends
la sienne
ce jour

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La liste des autres vases communicants de septembre est visible ICI grâce à l’énergie constante de Brigitte Célérier , il faut la remercier mille fois !
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