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« la vie ça éparpille des fois / ça chélidoine et copeaux / ça bleuit ça noisette » [Maryse Hache / porte mangée 32]

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[Oblique (textes /premier jet)]

sans se rompre

dimanche 3 novembre 2013, par C Jeanney

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sans se rompre, sauf que des ruptures, il y en a, j’en ai connu dit la voix de la petite couverture blanche dont l’histoire n’est pas terminée, cette couverture n’a pas été utilisée, tu n’es pas morte je lui réponds, on ne s’en est pas servi, on a dû la plier et la ranger dans un tiroir bien proprement, ou la jeter ? à moins qu’on l’ait jetée pour jeter avec elle le danger le mauvais œil, œil oblique qu’on aurait repoussé, dérouté, dont on aurait brisé la trajectoire / tu n’es pas morte je lui rappelle en souriant et elle sourit, parfois elle rit,
elle pose ses mains ; parfois elle les contraint à l’immobilisme, parfois j’ai le temps d’observer ses mains, la petitesse des doigts, la largeur de l’endroit où naissent les phalanges qui va s’amincissant au lieu de s’élargir en haut du dos et arrêté par ces os ronds qui saillent quand le poing est fermé, la peau très fine, la paume lisse toute brillante et le dessus des doigts ridé, tant de rides sur si peu d’espace, les ongles courts, c’est plus pratique lorsqu’elle s’active s’agite s’agite, il ne faut pas brusquer, pas la brusquer, on la brusque quand on la fait asseoir quand on l’oblige à ne plus bouger ses mains ses jambes, je n’ai pas les genoux tordus, quand on l’oblige à ne plus parler, elle parle, elle ne peut pas s’en empêcher je n’ai pas les genoux tordus, mes jambes sont bien droites, des ruptures, il y en a – une fois que les mains sont posées, immobiles, elle ajoute – dans le Loiret, nous étions trois dans le Loiret, trois sur les sept enfants, les plus grands prisonniers, déportés, une autre sœur restée là-bas, elle est restée là-bas avec la vieille, c’est la vieille qui s’en est occupée – ainsi voilà deux sœurs dont l’une ne parle que le français et l’autre que l’italien – et la dernière, la plus petite, nous étions trois avec la plus petite pendant la guerre, elle avait pris des fèves qui étaient juste à sa hauteur dans un bocal, elle en prenait elle en prenait et par poignées, et elle en a rempli ses poches sans qu’on la voie, jusqu’à ce qu’elles craquent, mais pourquoi, on lui a demandé, pour donner à matante, et la grande rupture c’est quand matante est morte bien des années après, c’était quelqu’un de bien matante, une dame, une femme forte, tous mes cheveux, une belle femme avec du caractère, autoritaire, quelqu’un de bien, tous mes cheveux, si tu savais, quand elle est morte, tous mes cheveux d’un coup et par poignées ils sont tombés en une seule nuit, en une seule nuit j’ai perdu presque tous mes cheveux, des ruptures il y en a
ses mains s’agitent / c’est l’oblique que je contre en l’écoutant


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