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« la vie ça éparpille des fois / ça chélidoine et copeaux / ça bleuit ça noisette » [Maryse Hache / porte mangée 32]

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[à l’intime (et roumégations)]

jeudi 8

jeudi 8 janvier 2015, par C Jeanney

Tout à l’heure vers 11h30 quelle pluie, j’ai dû mettre ma capuche, je ne voyais presque pas où je marchais, au jugé, trempée en rentrant. Et puis il y a une heure, je suis sortie, encore un aller-retour, ma capuche bien enfoncée sur la tête, à peine je voyais mes pieds. Facilement cinq minutes à comprendre qu’il ne pleuvait plus, ciel dégagé, c’est drôle ça je me suis dit, puis j’ai compris qu’il pleuvait dedans. Je n’avais pas une larme pourtant. Juste je pleuvais dedans. Un grand vol de tourterelles en passant devant l’église, l’église, pour moi un point de repère entre la poste et la mairie, et j’ai pensé aux milliards de morts depuis le début des débuts au nom d’un dieu ou d’un autre, et puis j’ai pensé aussi - mais il faudrait que je retrouve si c’est une histoire, un film, un dessin, j’espère que si quelqu’un passe ici, il s’en souviendra et qu’il me dira - la tête en bouillie ces jours-ci - j’ai pensé à cette histoire de planète terre pas plus grande qu’une balle de tennis, qu’un dieu tient entre le pouce et l’index, puis il la pose sur une étagère, dans une armoire, il referme la porte mais, dans l’embrasure, on a le temps de remarquer qu’il y a des centaines de dieux comme lui, avec des centaines de terres comme la nôtre ou presque semblables à un poil près, et des centaines d’armoires, et ensuite je marchais derrière la dame avec son chien, un genre de pékinois, avec le trou du cul très rose très rouge très dilaté, c’est qu’il va faire sa crotte je me suis dit, et par association d’idées j’ai pensé à la merde de la pensée fasciste, contagieuse, la merde de la non-pensée, fanatique, contagieuse, qu’il fallait nettoyer souvent, récurer souvent pour faire en sorte de ce salpêtre dégueulasse ne progresse pas, et que c’était pas gagné vu tout, et tout, et les rapports de l’unicef, et tout, tellement tout, ensuite devant moi il y avait l’homme et sa poussette, pas très un papa + une maman, tant mieux, et le bébé dans la poussette devait avoir six ou huit mois, il portait des lunettes trop grandes pour son petit visage, et j’ai pensé qu’est-ce qu’il voit dans ses lunettes, qu’est-ce qui se reflète dedans, j’ai pensé aux enfants que j’ai, aucun n’a de tendances racistes ou homophobes ou sexistes ou obscurantistes ou crétines (c’est pas parce que c’est les miens) c’est pourtant pas exceptionnel, je me suis dit, pas à s’en faire une gloire, si ? la peur serait montée jusque-là ? jusqu’à se dire que c’est génial d’être humainement potable et non nuisible ? ensuite le petit est sorti et j’ai pris son cartable (il est très lourd pour lui), il a dit "je vais te montrer la couverture de mon best-stellaire. Bon en fait j’ai écrit que trois mots" et il a ri. J’avais enlevé ma capuche mais la pluie était encore dedans. Avec des bougies. Parce que j’étais remplie de bougies dedans. Il m’a parlé des personnages de son jeu vidéo, il a dit qu’on pouvait les créer et choisir de les faire "chics, cools, mais jamais agressifs", j’ai trouvé ça pas mal et lui aussi vraiment, et ensuite je pleuvais encore, et comme il y avait un silence j’ai pensé à la minute de silence, je me suis dit plus jamais, je ne voudrais plus jamais de minutes de silence, je voudrais remplir, remplir terriblement toutes ces minutes de silence avec de la musique (ils ne l’aiment pas), de la tolérance (encore moins), du progrès pour le bien de tous (arf) et du rire (là pourtant, il y aurait matière, avec machin qui s’encagoule pour garder l’anonymat, mais qui laisse sa carte d’identité bien en vue, franchement, c’est comme un sketch de Mr Bean, sauf que non), donc du rire, beaucoup de rires, parce qu’ils détestent ça, et vivre aussi, je crois qu’ils détestent ça, ressentir le vivre, et j’ai pensé au texte d’Anne qui danse et prend les mots dans sa bouche pour les extraire et les faire tinter, s’élever, des arabesques suaves, douces, de la beauté, peau contre peau, la peau des mots contre la peau des mots, contre notre peau celle des mots, libres, si beau, ensuite j’ai peint, c’était jeudi 8, le jour d’après, je ne sais pas si je vais pleuvoir encore longtemps, l’impression que ça n’arrêtera plus vraiment, alors pas d’autre idée que remplir, partager et remplir du ressentir de vivre, maintenant.

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