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« la vie ça éparpille des fois / ça chélidoine et copeaux / ça bleuit ça noisette » [Maryse Hache / porte mangée 32]

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Ricordi, de Christophe Grossi

jeudi 24 mars 2016, par C Jeanney


extraits de Ricordi de Christophe Grossi
à l’Atelier Contemporain
avec des dessins de Daniel Schlier
le site de Christophe Grossi
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 pourquoi je lis Christophe Grossi : mi ricordo d’un grand chambardement, les mouvements des étoiles qu’on voudrait étudier dans toutes leurs trajectoires, il y avait cet album pour la jeunesse que j’aimais, qui s’appelait Zoom, quand on le feuilletait à l’envers on partait de l’espace et on se rapprochait du petit point bleu minuscule, encore, et encore, pour atterrir en plein dessus la Terre, on tombait sur un continent, un paquebot, une affiche, jusqu’à rejoindre à la toute première page, en point d’arrivée (ou de départ) le triangle rouge de la crête d’un coq jouet, dans la basse-cour miniature d’un enfant, c’était un chemin plutôt droit, direct, du plus lointain au plus banalement proche, au plus commun, au petitement menu et sans valeur (de l’arte povera), le trajet que suit Christophe Grossi est aussi droit, à sa façon, mais autre, plus large, (largamente), car il choisit l’éclatement, ou l’embrassement, ou l’embrassade ou l’embrasement, parce que chaque ricordo peut trancher, taillader ou porter une parole qui fasse baume, c’est de l’Italie éclatée et lyrique, et épurée, minimaliste et truculente, avec tout le hors champ imaginable
(il nous laisse le choix de nous infiltrer nous aussi, la numérotation des ricordi et ce rythme d’apparition, d’un nombre au suivant, sont là pour qu’on puisse dire, après lui, avec lui, qu’on se souvienne nous aussi de Sophia Loren et de Pavese), car Ricordi n’est pas un monologue, Ricordi n’est pas un, mais pluriel (tant de visages dedans, certains sont ceux des nôtres, retrouvés par un bout de fragment dont on ne savais même pas qu’il était là)
je se souvient, pour lui, pour nous, pour soi, je se souvient, je est rhizome, je est une pomme de terre qui a germé, toutes les pointes blanches vivantes sont la marque d’une existence, trace ou souvenir, qu’il soit tien, qu’il soit mien, je se réapproprie, traverse, est transpercé, il note, parfois avec amusement, parfois avec terreur, je se souvient
"d’une ville saoule en plein jour – le vent jouait avec les pendus, l’eau coulait rouge sous le pont, le feu léchait les murs "
"des musiques de Nino Rota"
"de la Giulietta bleu foncé, intérieur gris, sans radio ni accessoires, comme il se doit pour une voiture de grande classe"
"d’un désordre d’album. Comme sa vie à elle. Morcelée. En miettes. Sa part secrète"
je écrit depuis un lieu saturé "de lumières traversantes, de voix brouillonnes et assourdies"
je raconte, se raconte, les raconte tous, avec pudeur, avec emportement, ou émotion, ou avec gentillesse, accusateur
je fait les comptes, même s’ils sont impossibles à tenir, à cause de tout (tout le chambardement, le mouvement des étoiles, les destins, les éclatements, les embrassements, les embrassades, les embrasements)
dans l’ordonnancement du désordre, je est vivant, malgré "les rêves, les mauvais" même face aux "miroirs déformants", et même sachant "que les ricordi peuvent reculer")
et allez, encore celui-ci pour dire
"469 - Mi ricordo
que j’ai commencé à écrire
Mi ricordo non pas pour me souvenir mais parce que j’ai déjà tout oublié."

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(site sous licence Creative Commons BY-NC-SA)

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