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« la vie ça éparpille des fois / ça chélidoine et copeaux / ça bleuit ça noisette » [Maryse Hache / porte mangée 32]

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la chasse au tilde #2

dimanche 13 mai 2018, par C Jeanney

La chasse au tilde, c’est aussi une histoire de fatigue, oui, de fatigue, voilà qu’à l’avant-scène, en plein lever de rideau, à la place du directeur, compassé, un peu gras, qui vient faire son annonce, suant d’une sorte d’extravagance gauche, voilà qu’arrive au premier plan, personnage principal, la fatigue. On pourrait l’applaudir, mais la fatigue fatigue, à tel point qu’on ne lève plus les bras et qu’il n’est pas possible de trouver l’énergie de se frapper les mains l’une contre l’autre. La fatigue fatigue, c’est ce qui pourrait s’appeler une tautologie, un paradoxe peut-être, peut-être pas, pour vérifier tu prends le volume 2 (EXALT à PINTE) du Littré que tu as acheté 1 € sur une brocante du nord, un village dont le nom finissait par guem avec un z dedans, et il y avait cette dame qui t’a dit "c’est de la mémoire, tout ça", qui a répété "tout ça, ça fait mémoire", tu as hoché la tête pour l’approuver – tu la regardais dans les yeux, tu as pensé que son sourire te rappelait quelqu’un, le bas du visage un peu mou avec un écartement hors norme et bizarrement ridé quand elle parlait – et tu l’as approuvée et tu l’approuves encore au moment où tu tournes les pages 475, 644, 809, 810, 811, respirant cette mémoire précise, celle de ce papier là, son odeur, rance, humide de chaux et de colle vieillissante un peu acre. Ce serait étonnant que les mots contenus dans un livre prennent l’odeur de ce livre et la conservent. Ainsi "paradoxe" – page 811, "Connaissez donc, superbe, quel paradoxe vous êtes à vous-même, Pasc." – lorsqu’il serait utilisé, s’accompagnerait toujours de ce mélange de vieux, de renfermé, et il y aurait alors obligation – décret académique – de réemployer "paradoxe" dans des volumes tout neufs qui sentent l’encre fraîche, de manière à ce que le mot se retrouve nettoyé, qu’il récupère son impartialité (on pourrait dire : son objectivité olfactive), et qu’ainsi puisse se rétablir une balance juste. Neutre. À moins qu’il n’y ait pas de balance, ici pas plus qu’ailleurs. Ton côté optimiste – mais c’est diffus, non exprimé, non exprimable – te force à croire aux équilibres, alors qu’au fond rien n’est moins net, tu es peut-être naïf (ou bien tu gardes de l’enfance une crédulité), on peine à trouver comment faire en sorte que les plateaux soient stables – n’y en a-t-il que deux ? – le plateau du sourire de la dame qui dit "ça fait mémoire", et le plateau de ce village en guem avec un z dedans où tu passais le temps en attendant que ton estomac se rétracte comme de juste, à cause de cette histoire, une autre, la porte, les bras, bientôt, ensuite, prochainement, ce qui allait venir, le béton figé au futur (le temps, lorsqu’il n’est pas circulaire, mais linéaire, est fait de béton frais, mais tu sais bien que ça durcit, simplement tu ne sais pas sous quelle forme et selon quel coffrage, quelle courbe en arc, saisie comment, quel moulage, quel relief dur apparaîtra).

la chasse au tilde #1

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(site sous licence Creative Commons BY-NC-SA)

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