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« la vie ça éparpille des fois / ça chélidoine et copeaux / ça bleuit ça noisette » [Maryse Hache / porte mangée 32]

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#en vues fugitives, Franck /Anne (5)

samedi 3 novembre 2012, par C Jeanney

On est prié de prendre ses dispositions, dispositions, disponibles, comme si on l’avait jamais été. Page 54, une baffe, On est prié, on est battu, on est las.

On gronde sourdement, sourdement, c’est sourd (ça ne peut pas se dire à voix haute, tout serait décimé, sinon. On se ferait peur, tant de fureur, on risquerait d’y exploser sa peau, tant de rage rentrée, ça sortirait aveugle et inconscient et forcément injuste, on ne veut pas, alors on garde sourdement en soi). Ils ne se rendent pas compte.

À chaque fois la stupéfaction : la violence impunie, la violence non perçue et qui peut se répandre, changer de cible facilement, violence aléatoire et efficace, mène sa petite guérilla, porte une cagoule, pas de visage et pas de nom. S’ajoute à la violence visible (Comment tu tiens debout encore- ?) où il faut détourner les coups, les esquiver, mais c’est presque plus simple lorsqu’on peut voir venir et que l’on s’attend à.

Sinon, on cède. On ne peut pas dénoncer, quoi à montrer du doigt, quel scandale- ? La violence invisible creuse sa route toute seule comme une grande, comme une gale, elle s’insinue sous l’épiderme, a le sang froid de celle à qui rien ne s’oppose, guillerette, la violence invisible se suffit à elle-même, se survit à elle-même, sans impatience.

Lorsqu’on trouve un exemple, il devient exemplaire, On est prié, et on est battu, on est las. Un peu de tenue, madame, avant qu’on me coupe un morceau.

Parfois, se sentir un poisson bousculé dans la nasse. Chercher dans les yeux ronds le même effarement, s’exorbiter en le cherchant, aller en s’efforçant là où ça plonge, le désir de la suspension quand l’évitement n’est pas possible, les poissons n’ont pas de paupières.

Franck reçoit les coups, Anne prend ses dispositions, je m’active, les axolotls se déplacent délicatement. Décrire la stupeur, c’est le plus difficile. Visions fugitives des yeux qu’auraient croisé les miens, Franck assis, une plaque d’égout et un chien, nouveaux tatouages sur les anciens, marée humaine. Anne, quatre à quatre les escaliers et les tickets, guichets et quais, clés à la main balancent. La perspective d’une rue longue où les passants se croisent têtes baissées. Nos habitacles étanches, indéfendables, voitures, compartiments, cellules. Nos punaises sur les cartes, mirages, parades et fuites accablées. Les baffes qu’on voudrait renvoyer, refuser (comme les coupures égales ou supérieures à 100 francs), se débattre, c’est toujours mieux que rien, non- ? je demande, mon filet de voix si fragile que c’est presque ma voix d’enfant. Ou je m’invente des paupières transparentes. Les vues fugitives s’y reflètent. Elles restent inscrites à l’intérieur.

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