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« la vie ça éparpille des fois / ça chélidoine et copeaux / ça bleuit ça noisette » [Maryse Hache / porte mangée 32]

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Kouki Rossi dans l’heure des vêpres (#vaseco de décembre 2010)

dimanche 5 décembre 2010, par C Jeanney

L’heure des vêpres

L’enfant, coudes collés à la nappe en plastique, n’en perd pas une miette.

D’abord les lunettes qui forcent le respect ordinaire. Grand-Mère les enlève et perd son air têtu.

Plus vulnérable, elle se penche sur l’évier, remplit une tasse ébréchée et fait rouler une gorgée d’eau entre ses joues. Elle jette deux grosses pastilles qui font des remous dans le récipient, puis le dentier petit navire ; la fillette battrait presque des mains.

Grand-Mère s’en prend maintenant au chignon parfait. D’un filet délicat sortent comme d’un chapeau claque, peignes courbés, épingles, barrettes d’écaille, élastique à crochet, un coussin de cheveux de nylon, tout un attirail qu’elle dépose en chirurgien sous le fenestron, près du récipient où s’ébroue la trentaine de dents aux gencives framboise.

Tombent alors en bas des omoplates de longs fils poivre sel, et la fente des yeux étire dessous un trou qui veut sourire. Elle défait pièce par pièce son uniforme, désamorce les courtes bretelles attachées à la culotte, roule les bas en s’amenuisant, rendue flottante dans une combinaison à jours saumon.

Ablutions.

Devant le miroir qui gondole et réfléchit son nouveau visage, elle disparaît dans une tunique de coton, dos tourné à la petite attablée aux silences.

En place de l’austère mamie, une indienne lunaire noue sa maigre chevelure dans le cordon de cuir qui pend le jour à la crémone.

Mon-petit-or-il-est-temps-de-monter-te-coucher,

Les sons élimés cahotent du fil des lèvres sans émail

et l’enfant chuchote

Anou-tishou-shawani-d’abord-à-toi

Sans crainte elle prend sa nouvelle idole par la main et elles s’acheminent vers l’alcôve sacrée où s’épate la fameuse bombance, l’édredon qui en appelle aux plongeons

Pas-sur-le-lit-tu-vas-m’écraser-les-duvets

La meringue de plumes parée de tissages exhale le schnaps, l’eau de mélisse et les onguents musqués dont la vieille dame se frotte la poitrine par les nuits oppressantes. C’est une planète aux oreillers joufflus, volantés, ruchés, smockés, brodés, quiltés, une chasse gardée. Un ventre d’amidon que l’on rêve de trouer.

L’aïeule soulève un nombre d’or de couches ouatées avant de s’assoir au bord du lit. Entonne une prière juvénile et triste qui fait se retourner la petite fille pour voir qui est venu.

Elle prie : Bon Dieu rends-moi croyante, montre-moi ton ciel, donne-nous la paix, protège les miens.

L’enfant ne doute pas que les messages arriveront à l’intéressé, se presse d’opiner pour que cesse la litanie et revienne une paix familière. La mort rôde.

Finalement, Grand-Mère relève un visage lissé. Lui pose un baiser sur la tempe, la serre entre ses bras. Un petit peu trop fort.

Elle engouffre ses pieds pâles puis sa robe de nuit dans l’igloo.

Couche sa tête sur le coussin, imprimant un creux parfait.

Bonne-nuit-Blanche-Neige

Kouki Rossi

qui prend ma place comme je prends la sienne ce jour.

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