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« la vie ça éparpille des fois / ça chélidoine et copeaux / ça bleuit ça noisette » [Maryse Hache / porte mangée 32]

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André Rougier, dans Pas le réveil (#vaseco de juillet 2012)

vendredi 6 juillet 2012, par C Jeanney

Ce jour échange entre tentatives et André Rougier

du blog LES CONFINS.

Il y dépose ses textes, citations, extraits, tableaux, photos, musiques ou tout ce qui représente son paysage, horizon vaste et dense fait de résonnances multiples, personnelles, terre de poétique habitée des figures illustres qui l’accompagnent.

Le point de départ de nos deux textes était un accord sur le choix d’un tableau parmi un panel de cinq : celui vers lequel nous nous sommes tous les deux dirigés est L’Empire des lumières de Magritte.

Ci-dessous, le texte d’André Rougier.

Pas le réveil

D’abord, le silence.

(Pas le silence tel qu’on l’entend.

C’est-à-dire pas le vrai.

Puisqu’on l’entend.)

Mais celui qui aplatit, fait ployer jusqu’à la courbure des temps, là où il n’y a plus de fuite, pas même pour les lignes.

Cabossé, délavé, précis comme une clef de songe, sans soubassement ni renvoi vers qui en aurait, ne s’étirant que vers des fins de monde...

Décalage qui promet et récuse, muant le manque en recours : crépuscule sans déclin, d’un côté, jour qui ordonne et consume, de l’autre, legs ultime, nœud, ellipse, mûrissement bref, déplié, pourchassé aux lisières des vaines créances, à son insu préservé des servitudes et des éclaboussures - talisman inabouti qu’il nous appartient de détourner désormais, mais à son seul profit...

[Empire : atours, décours, étendues, lumières. Toutes, avec de l’obscur dedans, du bleu pour le ciel, de l’inapaisé dans les feuillages...

Nuages, lampadaire, maison esseulée, reflets en partage dans ce qui pourrait être « l’oeil d’eau sans bords » où Arthur entrevit et soupesa les boues de ce monde, rangée de volets clos, bâtisse indistincte ici, grille clôturant l’opaque là, pas d’entrée devant, deux fenêtres éclairées à l’étage...

Cela pourrait être n’importe où, partout où le le lieu est Lieu, et gourmande la formule. À Bruges la goule, ou rue de la Vieille Lanterne où l’on se pend au Dehors, ou à Montmartre où de vierge il n’y a que la vigne (l’on pressentirait, pourquoi pas, la gagneuse de coutume adossée au réverbère partie faire une passe – nul mal à ça puisque les mots en font, ouvrant sur d’imployables Sésames, couvant les butins d’autres pillages...)

« Énigme du visible », dira-t-on, avec raison, car comment vivre si tout est tel qu’il apparaît ?

Dialogue rompu, double face, sourde médaille : pas de réponse, mais sur l’heure et à jamais hoquet sans amarres, bris rempli, veines tailladées loin de ces fenêtres offertes au crépuscule déjà entamé, mais qui ne devance qu’à peine l’aube du coq ouvrant sur le vide : quelles paisibles horreurs derrière ces vitres aux lueurs diffuses, quels inavouables périples entre lit, lampe et livre, quelles étreintes, quelles insomnies ?

Quelque chose s’est égaré, quelque chose résiste, comme suspendu à cette ligne d’horizon qui tranche à vif, violemment, démonte les codes, mine la représentation, sépare le monde de son « image », le Réel de la « réalité »...

Lumières, oui – mais pas que celles offertes – celles de la Raison aussi (de la dialectique, cette vieille fille, en prime), fin de partie éperdue, servante au grand cœur dont on n’est même pas jaloux, scellant le trépas des émois et effrois, là où toujours l’on finit par se perdre, yeux perdus dans la blessure de la mémoire, de derrière les mers, à l’ombre des beffrois...

Métaphore limogeant cette même réalité, car si ce que je vois n’est point ce qui est, c’est bien la preuve qu’il me faudrait à coup sûr aller voir ailleurs, et autrement.]

Pur présent qu’aucun calendrier désormais ne dessèche - sûr qu’il est que tout ce qui en nous lui fit écho nous y ramène, artefact infidèle comblant le somnambule gouvernement des choses.

Lieu, ni surplombant, ni interdit, œil croupi visant, mais sans rien exiger, l’angle d’ombre sans qui la lumière s’essouffle, suspicion allégée, déchue de toute exaltation comme de toute fatigue, sauf de soi...

Voie devenant usage pour que le temps fasse sens, et signe, traversée te baignant, toi qui es, par-delà l’Autre que parfois tu es, avec dans le double fond l’inégal, la lézarde, la saisie dérobée, le chant vorace qui garde et détisse, le heurt qui te défait pour enfin t’atteindre, toi et ces traces qu’une part de toi récuse, celles qui se sont perdues, celles qui changèrent de place, sont devenues butin et réminiscence...

De savantes musiques manqueront à ce désir qui n’est pas sujet et n’a pas d’objet, mais qui toujours nous fit l’aumône de ses restes, qui ne sont pas que littérature.

Après (mais pourquoi faudrait-il qu’il y en ait toujours un ?), midi sera de retour.

Pas le réveil.

André Rougier

qui prend ma place comme

je prends la sienne ce jour

Les autres participants à ce vase communicant du mois sont visibles et visitables depuis ICI, grâce à Brigitte Célérier.”

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