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« la vie ça éparpille des fois / ça chélidoine et copeaux / ça bleuit ça noisette » [Maryse Hache / porte mangée 32]

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[à l’intime (et roumégations)]

with Wilde

mardi 15 janvier 2013, par C Jeanney

Le Portrait de Dorian Gray pour moi, c’était un roman lu d’une traite, j’avais sûrement dix-huit ou vingt ans, et je n’en avais gardé que l’aspect fantastique, l’objet magique, le talisman et ses répercussion terribles sur une vie humaine. On s’approche trop d’une merveille insolente et elle vous brûle. Et ça s’arrêtait là.
J’avais sûrement eu accès à la version longue, celle de 1891 et à laquelle Wilde ajoute six chapitres à son premier jet pour étoffer sa narration.

J’ai traduit (tenté, essayé, voulu) le premier jet, serré, la version de 1890 publiée dans le magazine (Lippincott’s Monthly Magazine) lui-même à l’origine de sa rédaction : une sorte de pari, au cours d’un dîner, deux écrivains anglais qui y répondent, Wilde avec Le Portrait de Dorian Gray, et Conan Doyle avec Le Signe des Quatre.
(et le fait que le merveilleux personnage de Sherlock Holmes navigue dans les parages de façon si inattendue pour moi est une cerise on the top du gâteau)

En traduisant un texte on est bien obligé d’entrer à l’intérieur.
(cette idée pourrait donner à quelqu’un l’idée d’un traducteur avalé par un livre et remplacé par lui, ce serait un livre étranger pour toutes les langues, qui serait artéfact, et ceux qui s’en approcheraient seraient dissous ou modifiés, ou incompréhensibles, ou bien sauraient traduire ce qui n’est pas encore écrit) (peut-être que ce livre existe ?)

Cette version initiale ne comporte que treize chapitres (nombre fameux), et peut-être qu’on pourrait penser qu’il lui manque, comparée à la suivante, les passages descriptifs qui formeraient l’arrière-plan de la toile, dialogues de soirées, piquants et inventifs, lieux sordides, toute une silhouette de Londres très floue ("the dim roar [of London] was like the bourdon note of a distant organ") vu de plus près et plus nettement. Je ne peux pas m’empêcher de penser que ces six chapitres ajoutés enrichissent le tableau mais rendent la mécanique plus lente, presque plus molle et qu’ils détournent l’esprit du centre de la toile.

Le personnage central est bien (d’après moi) Le Portrait. C’est une lame affûtée, une bombe à retardement, Destinée, Fatalité. C’est une déesse muette, belle dans son horreur. Qui ne dit pas un mot et ne fait pas un geste. Se désagrège seulement, derrière une porte close, et le faisant, vole la vie d’un homme, aussi cruellement qu’un vampire en aspire le sang (Dracula sera publié en 1897).
Wilde décrit le livre qui empoisonne Dorian Gray comme un roman "without a plot, and with only one character" et c’est comme si, jeu d’inversion, il produisait lui-même un roman with only one plot (la chute, infinie, une histoire de délitement qu’on ne peut combattre ni ignorer) et without characters, ou seulement des personnages faussés, de qui on a pris la substance, cloîtrés dans un jeu de miroirs, dont seuls les reflets s’agitent, et meurent, comme souvent dans ce texte la lumière force les ombres fantastiques de la nuit à se lover dans les recoins des pièces pour disparaître.

Bref, je n’ai sûrement pas fini d’en saisir les rouages. Et c’est parfois inconfortable d’avancer dans ce fonctionnement, dans ce roman comme un bâton plongé dans l’eau qui modifie sa trajectoire. Et puis j’ai tellement peur d’avoir raté des choses (mais c’est bien fait pour moi, il suffisait que je ne m’approche pas, et comme dit Wilde : "All art is at once surface and symbol. Those who go beneath the surface do so at their peril. Those who read the symbol do so at their peril.") Quelquefois je pense à Basil, le peintre, ou à une réplique de Lord Henry, et grip, grip, dans mon cerveau des parallèles se forment, les rouages grincent, et je file vers le texte anglais et je cours vers ma traduction, pour voir si ce que j’en ai fait n’est pas trop pâle, trop falot ou caricatural ou éloigné... (c’est parti pour durer) (car comme il dit : "The dead linger sometimes.")

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