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« la vie ça éparpille des fois / ça chélidoine et copeaux / ça bleuit ça noisette » [Maryse Hache / porte mangée 32]

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guetter les bruits

lundi 21 janvier 2013, par C Jeanney

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Guetter les bruits des autres était la première chose à faire, le matin au réveil. Les yeux s’ouvraient sur des détails lisses, sur une aspérité du mur, toujours la même à la même place qui, une fois découverte dans le premier regard, lui semblait neuve à chaque fois, un point d’accroche, une rampe sur laquelle soulever son corps lourd de réveil. Elle en entraînait d’autres, surtout une, assez basse, près du rebord du lit, en forme d’île de Madagascar, avec la bordure de sa plage rouge, le naufrage minuscule du papier peint alertait, là-bas, ou vers d’autres là-bas, il y avait des barques et des luttes de rames, des adieux et d’autres corps figés dans d’autres souffles, immobiles autant que les éraflures de papier recourbé. Puis c’était la fenêtre, petite, un hublot, et il n’y avait rien d’autre à faire que s’attacher aux bruits, comme Ulysse s’était lié à un mât pour mieux entendre, il s’attachait aux bruits pour que les minutes pèsent, sinon elles filaient comme du sable, le jour filait, aussi vite que la traîne des nuages dans le ciel qu’il ne regardait plus, trop tendu qu’il était vers les bruits, à en épier chaque épaisseur, ou tessiture, à en tenir le catalogue, déroulé informel de bruits identifiés, dont il pensait qu’ils faisaient corps. Les bruits avaient un corps, à toucher, corps à délimiter. Parfois dans la semi-conscience, à mesure que la lumière couvrait la pièce, – il fermait doucement les yeux pour la filtrer – il croyait les apercevoir, les corps des bruits, comme des silhouettes d’animaux en cage dans les allées d’un zoo où il aurait marché sans avancer, les cages se succédaient mystérieusement, sans glissement ni déplacement d’aucune sorte, mais lui enregistrait les différences entre les formes, les dos et les bras des gorilles, les cous renversés des cigognes et leurs ailes à bordures déchiquetées seulement visibles entre deux barreaux. Les bruits se laissaient observer sans en avoir conscience. Ils étaient isolés, déracinés et inquiétants, inadaptés au monde, un monde qui s’amusait à les garder captifs, sans méchanceté ni volonté de nuire, mais par goût du rangement.

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