TENTATIVES

« la vie ça éparpille des fois / ça chélidoine et copeaux / ça bleuit ça noisette » [Maryse Hache / porte mangée 32]

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Coup de tête, de Guillaume Vissac

dimanche 3 mars 2013, par C Jeanney


Lecture mise en ligne sur Publie-net.com, le blog à suivre pour connaître les nouveautés Publie.net (et hop, d’un clic, vous le mettez en favori), et pour ceux qui ne sont pas équipés de liseuses ou de tablettes, Publie.papier est ici (allez hop, en favori itou, clic, clic !)


Lire Coup de tête de Guillaume Vissac (ou les secousses qui font trembler profondément les bases, et l’expérience du funambule qui tombe).

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« Je reconnais pas les visages, les corps, encore moins les odeurs. Parade plein août, quarante degrés, traces de pas sur la rue qui prolonge. Entre les rails de tram éventrés, les trottoirs charcutés à coup de marteaux-piqueurs et les nappes de goudron plus frais qu’ailleurs : le cortège. Dans le cortège, des images : figures de pubs matraquées par cœur à heure de grande écoute, costumes cousus main mais mal cousus, masques en plastique pour camoufler la peau. Sueur cachée sous les costumes. Chaleur stagnante dans les |

Toi, on me lance, depuis les gueules en moins sous les masques, depuis le cœur du cœur du cortège, depuis la masse fumante de corps en fusion, t’es revenu, on me fait sans que je sache qui est on, t’es revenu on dirait.

Je réponds ouais sans voir, je suis revenu on dirait. »


Comment rendre compte de ce qu’est Coup de tête, de ce qu’il va chercher, bousculer, de l’endroit où il plonge ?
Il y plonge, et il est question de piscine justement. De métaphores aussi et de trains, de métros, d’exposition, de tracts, de cafés, de mains, (main gauche, main droite) et du programme d’occupation des bancs.
Le narrateur est un jeune homme et l’auteur nous fait entrer dans sa tête.
Mais attention (c’est là que les mots peuvent tromper), pas "dans sa tête". Non, dans sa tête. La seule explication plausible : Guillaume Vissac est chirurgien, il a ouvert la boîte crânienne de quelqu’un et capté très exactement toutes les informations qui voyageaient de neurone en neurone. Réellement (en ce cas, il faudra peut-être l’attraper, l’arrêter, le convoquer devant la justice ? est-il diplômé es scalpel ? A t-on le droit d’ouvrir comme ça la tête d’un homme ? ou il s’est laissé envoûter, posséder par son personnage, a écrit sous hypnose, et là c’est sa pratique du culte vaudou qu’il faut questionner).

Et sa façon de dire le monde est un choc : c’est bien sûr le monde connu, sa crasse, sa dureté, ses côtés hasardeux, la chance qui passe, qui parfois ne s’arrête pas.
Mais c’est aussi un monde étrange, car celui qui parle dans Coup de tête décrit son monde. C’est le même que le nôtre mais les critères changent. Les regards sont différents, les gestes sont différents, les odeurs ne provoquent pas les mêmes réactions.
Le narrateur de Guillaume Vissac ne fait pourtant pas partie d’un monde fictif, plaqué en dehors du nôtre, mais plutôt d’un "sous-monde". À la manière des poupées gigognes russes, la grande poupée que nous connaissons en contient une autre, puis une autre, puis une autre, et il est fort possible que cet homme qui offre ici un accès libre à l’intérieur de son crâne, passe d’une poupée à l’autre, jusqu’à la plus petite. C’est une trajectoire dans le chas d’une aiguille, le trou s’amenuise, et nous passons, avec lui (ce personnage) et Guillaume Vissac réussit ce geste de nous aider/pousser pour que l’on passe, de trous de plus en plus petits jusqu’au trou minuscule où le monde (le métro, les madeleines, les bancs, la main, main droite, main gauche) se resserre, se resserre tellement. Pour arriver là où personne n’est venu.
Un travail qui nous fait traverser l’écran du texte deux fois : la première fois en décodant les indices que lui (le narrateur) décode du monde, puis la seconde fois en décodant ces mêmes indices pour les traduire avec nos critères, et mesurer l’écart qui nous sépare de lui, alors que nous pouvions penser le côtoyer, facilement, et même tout savoir ou presque de son existence, peut-être même l’avoir vu ou croisé au coin d’une rue deux heures auparavant.

Coup de tête c’est l’écriture de cet écart énorme qui éloigne les hommes les uns des autres, un écart parfois invisible, ignoré, nié, mais dont l’étendue se révèle ici, longée-prolongée de mots, et le vertige sous-tend cette expérience.
Le lire c’est, sans le savoir, assister à la marche du funambule. Peu à peu le décor devient flou autour de sa silhouette, et l’on ne focalise plus que sur les détails qui pèsent sur l’avancée en équilibre. Peu à peu, en se rapprochant, chaque pas se voit plus distinctement, alourdi d’hésitations, de tremblements. On réalise que, bien sûr, c’est en tombant qu’il avance.
Et comme, visiblement, de cette descente, on ne ressort pas vraiment intact (mais touché, extrêmement), on se pose la question : et l’auteur, Guillaume Vissac, comment a t-il fait, lui, pour se relever après une telle plongée ?
Car il s’en est remis, en est sorti raffermi peut-être, il suffit de le lire régulièrement, sur son site, ses projets en cours, son journal. Ça doit être ça lirécrire : s’extraire du facile.


Alors, en écho aux Mots de Leslie Kaplan,
("ils essaient, les mots, de rendre compte
à la fois de ce qui est
et de ce qui est possible
du désir comme du cauchemar
"
)

il faut lire Coup de tête, version numérique, et bientôt version papier, parce que

"la littérature, c’est :
« quelque chose se passe, et alors, quoi ?
 »

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