TENTATIVES

« la vie ça éparpille des fois / ça chélidoine et copeaux / ça bleuit ça noisette » [Maryse Hache / porte mangée 32]

JOURNAL DE TRADUCTION DES VAGUES #WOOLF

journal de bord des Vagues -17 ["Ces mots-là sont blancs, dit Susan"]

mardi 7 mai 2013, par C Jeanney

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Those are white words,’ said Susan, ‘like stones one picks up by the seashore.’
‘They flick their tails right and left as I speak them,’ said Bernard. ‘They wag their tails ; they flick their tails ; they move through the air in flocks, now this way, now that way, moving all together, now dividing, now coming together.’
‘Those are yellow words, those are fiery words,’ said Jinny. ‘I should like a fiery dress, a yellow dress, a fulvous dress to wear in the evening. »
« Each tense,’ said Neville, ‘means differently. There is an order in this world ; there are distinctions, there are differences in this world, upon whose verge I step. For this is only a beginning.’
‘Now Miss Hudson,’ said Rhoda, ‘has shut the book. Now the terror is beginning. Now taking her lump of chalk she draws figures, six, seven, eight, and then a cross and then a line on the blackboard. What is the answer ? The others look ; they look with understanding. Louis writes ; Susan writes ; Neville writes ; Jinny writes ; even Bernard has now begun to write. But I cannot write. I see only figures. The others are handing in their answers, one by one. Now it is my turn. But I have no answer. The others are allowed to go. They slam the door. Miss Hudson goes. I am left alone to find an answer. The figures mean nothing now. Meaning has gone. The clock ticks. The two hands are convoys marching through a desert. The black bars on the clock face are green oases. The long hand has marched ahead to find water. The other, painfully stumbles among hot stones in the desert. It will die in the the desert. The kitchen door slams. Wild dogs bark far away. Look, the loop of the figure is beginning to fill with time ; it holds the world in it. I begin to draw a figure and the world is looped« in it, and I myself am outside the loop ; which I now join — so — and seal up, and make entire. The world is entire, and I am outside of it, crying, “Oh save me, from being blown for ever outside the loop of time !

je tente, j’arrive à cette version (et c’est work in progress, bien sûr)

« Ces mots-là sont blancs, dit Susan, comme les galets qu’on ramasse sur la plage.
Ils agitent leurs queues à droite, à gauche, pendant que je les prononce ; ils bougent leurs queues, secouent leurs queues ; ils volent en troupeaux, vont par ici, et par là, maintenant ils avancent, tous ensemble, là ils s’écartent, et maintenant ils se retrouvent. »
« Ces mots-là sont jaunes, ce sont des mots brûlants, dit Jinny. Je voudrais une robe brûlante, une robe jaune, une robe fauve, et la porter le soir. »
« Chaque temps signifie quelque chose, dit Neville. Il y a un ordre dans ce monde ; il y a des détails, il y a des différences dans ce monde au bord duquel je marche. Et ce n’est que le début. »
« Maintenant, madame Hudson a fermé le livre, dit Rhoda. Et c’est la terreur. Avec sa craie, elle dessine des chiffres, six, sept, huit, et puis une croix, et ensuite une ligne sur le tableau. Quelle est la réponse ? Les autres regardent ; ils regardent et ils comprennent. Louis écrit ; Susan écrit ; Neville écrit ; Jinny écrit ; même Bernard a commencé à écrire. Et moi je ne peux pas. Je ne vois que des chiffres. Les autres vont rendre leurs réponses, un par un. Maintenant c’est à mon tour. Mais je n’ai pas de réponse. Les autres ont le droit de partir. Ils claquent la porte. Madame Hudson s’en va. Je me retrouve toute seule pour chercher la solution. Les chiffres ne veulent rien dire maintenant. Le sens est parti. L’horloge tictaque. Les deux aiguilles sont deux convois qui traversent un désert. Les traits noirs du cadrant sont des oasis vertes. La grande aiguille marche en tête pour trouver de l’eau. L’autre trébuche, difficilement, sur les pierres bouillantes du désert. Elle va mourir dans le désert. La porte de la cuisine claque. Des chiens sauvages aboient au loin. Regardez, la boucle de ce chiffre commence à se remplir de temps ; elle prend le monde en elle. Je commence à dessiner un chiffre et le monde est pris dans sa boucle, moi je reste en dehors de la boucle ; maintenant je relie – comme ça – et je monte, je ferme la boucle, complètement. Le monde est complet et moi je suis dehors, et je pleure, ’Oh, sauvez-moi, je ne veux pas être repoussée sans fin en dehors de la boucle du temps !’ »

Messages

  • ‘They flick their tails right and left as I speak them,’ said Bernard. ‘They wag their tails ; they flick their tails ; they move through the air in flocks, now this way, now that way, moving all together, now dividing, now coming together.’

    une suggestion alternative pour le deuxième paragraphe (en évitant le troupeau pour ce qui vole, et en renonçant à la répétition du now pour priviligier celle du participe présent sauf pour le dernier à cause du maintenant) :

    Ils agitent leurs queues à droite, à gauche, pendant que je les prononce ; ils bougent leurs queues, secouent leurs queues ; ils tournoient en volées, d’ici, de là, se déplaçant tous ensemble, puis s’écartant, et maintenant se retrouvent.

    • peut-être "de-ci de là" alors ? (plutôt que d’ici)
      "tournoient en volée" c’est très beau !
      merci Philippe (bien la preuve que c’est en gestation une traduction, et puis ça me remet sur la table le "troupeau", que j’avais enlevé aussi au départ, puis hésité, puis remis pour mieux coller à la "sensation animale" de ce qui est dit)
      (j’adore tous les questionnements que ça génère) :-)

  • Oui de-ci de-là bien sûr ! Que c’est passionnant d’explorer tout ce qui se cache dans une phrase !

  • a) "ce monde au bord duquel je marche"... mais c’est celui d’Isabelle P.-B. ! http://www.auxbordsdesmondes.fr/
    b) j’ai un peu un problème avec "maintenant je relie" : je ne crois pas que le verbe relier aille bien en intransitif (sauf dans un sens new age, ha ha) ; pourquoi pas "maintenant je la rejoins" ? (la désignant la boucle, bien sûr).
    c) comme le dit Philippe, c’est tout à fait passionnant...

    • ah, j’y ai pensé, à rejoindre, mais je trouvais que ça sonnait à contre-courant de l’idée d’en être éjectée,
      ou il faudrait allonger avec un plus explicite "rejoindre les deux lignes" pour éviter l’ambiguïté du verbe ? je ne sais pas, ça risque d’alourdir
      mais c’est vrai que "relie" n’est pas tout-à-fait juste...

      Et oui ! J’y ai pensé tout de suite à Isabelle P.B. ! :-)

  • je joins ma petite voix pour regretter un peu les now répétés en tête des trois premières phrases de Rhoda - un peu lourds peut-être, insistants, mais j’y sentais un rythme sur lequel s’appuie la suite... sensibilité personnelle qui n’a aucune prétention (grand dieu non) à vouloir influer sur celle de la traductrice

    • Non, c’est très juste au contraire !
      (quel dommage que "maintenant" soit si long avec ses trois syllabes...)
      Les now reviennent pour donner ce sentiment d’instantané, beauté imminente ou crise imminente
      comme dans "now this way, now that way, moving all together, now dividing, now coming together"
      merci Brigitte, j’avais été un peu hopla à l’emporte-pièce d’écarter les now, il faut que je trouve un moyen de les rejoindre (haha, "rejoindre" qui rapplique, c’est fou comme tout se complète :-))

  • oui c’est dommage que maintenant (le mot) soit si long, on en peut pas le répéter comme VW fait de "now"... je me passe le ciboulot à la moulinette mais il n’en sort pas grand chose d’utile, enfin d’utilisable, I mean

  • Même problème en latin : maintenant vs nunc - parfois rendu par "là".

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