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journalier 08 04 15 / les ténèbres de la barbarie et Balzac

mercredi 8 avril 2015, par C Jeanney


 "Notre siècle reliera le règne de la force isolée, abondante en créations originales, au règne de la force uniforme, mais niveleuse, égalisant les produits, les jetant par masses, et obéissant à une pensée unitaire, dernière expression des sociétés. Après les saturnales de l’esprit généralisé, après les derniers efforts de civilisations qui accumulent les trésors de la terre sur un point, les ténèbres de la barbarie ne viennent-ils pas toujours ?" (Balzac, L’illustre Gaudissart)
 Il y a longtemps, quand j’utilisais le mot barbare, c’était dans un contexte historique, et je pensais que ce mot resterait toujours collé aux basques d’Attila, brûlant les villages des steppes, un mot utile pour lire des histoires de cosaques et de Michel Strogoff.
 Des enfants découvrent que le dictionnaire les insulte.
 Oui, la confiance, il est possible que d’ici des décennies, quelqu’un écrive "Il y a longtemps, quand j’utilisais le mot confiance, c’était dans un contexte historique". Comme je déteste cette idée, je l’écris dans le journalier en manière de superstition, pour ne pas qu’elle arrive.
 La pâte à papier a fait une sorte de planète, accueillante, bienveillante, marbrée des résidus de vie de la table restée trop longtemps au jardin. Il y a longtemps, quand j’utilisais le mot jardin... dit la voix dans ma tête qui se moque de moi.
 Peut-être que les mots ont une vie. Pas seulement leur vie de mots, dérivés du latin ou d’une coïncidence, leur écriture changée par la prononciation, simplifiés, l’accent remplace un s, etc. (je n’ai pas fait d’études de linguistique, je devrais) (note pour plus tard)
 Peut-être que les mots ont une deuxième une troisième une énième vie, en plus de leur vie de mot universel, historiquement datée. Une vie en nous. Peut-être qu’une fois appris et selon l’âge, ils ne disent plus la même chose. Même les plus simples, limonade, citronnelle, lumière, chaque jour ils se sont remplis sans que j’en prenne conscience d’aspérités ou de rondeurs nouvelles, ont vécu avec moi et grandi avec moi et changé avec moi. Et je cherche l’exemple, il existe sûrement, d’un mot resté à l’identique, parfait, non corrodé, intact et préservé, un mot d’enfance. Je ne trouve pas. Ou il n’existe pas ce mot, et c’est peut-être un bien, ils se sont tout gonflés de sens à force d’être ressentis, retenus, utilisés, peut-être que ça n’existe pas les mots usés. Le mot ciel, par exemple, promène en lui tous les ciels de Maryse et tous ceux de Turner, ceux des nuits étoilées près des Vosges, ceux qu’on voit incrédules en approchant la mer. Ceux longs, immenses, du Nord, décorés d’éoliennes. Ce ciel un soir que des chevaux m’ont fait sur l’horizon, ils avaient brisé leur enclos, un ciel Rio Bravo tout en technicolor. Les ciels qu’on dessinait étant enfant, on en a vus si peu, ils étaient moins chargés. Moins riches, corrige la voix dans ma tête en me frottant gentiment l’épaule.

(sur les photos ça sèche)

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(site sous licence Creative Commons BY-NC-SA)

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