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« la vie ça éparpille des fois / ça chélidoine et copeaux / ça bleuit ça noisette » [Maryse Hache / porte mangée 32]

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journalier 24 12 15 / (je n’ai pas pu « Ne pas mentionner l’oiseau. »)

jeudi 24 décembre 2015, par C Jeanney


Quand la distance est terriblement rétrécie, nez collé sur l’écran, on peut voir comme c’est satiné et doux, un peu moins blanc et irisé aux endroits où la poussière s’est infiltrée sous la housse. On a poussé la table pour lui faire de la place, mais c’est dans l’air qu’il écarte les choses avec son odeur de pétrole ou d’huile de vison. Son pied pivotant se déplie, on l’a placé parallèle au tapis – loin des franges, pour gagner en stabilité –, la tige métal et caoutchouc barre les motifs de la bordure, les arbres, les feuilles et arabesques. Il grince quand on le déroule à cause du métal oxydé et du cordon usé. Derrière lui, la diagonale de l’escalier se retrouve coupée en deux parties égales. Devant lui et en demi-cercle, les chaises de la salle à manger sont différentes, parce qu’installées différemment, un peu inquiètes, privées du centre de la table, c’est un grand trou par le milieu qui les saisit, ou elles ont hâte d’être remises correctement et elles sont désœuvrées. Près du bord de la cheminée qu’on n’allume jamais, le projecteur. D’abord des lignes noires avec saccades, des cliquetis, des bruits de frottements. Un panorama, c’est la mer, striée de gris, puis un rond jaune au centre grossit, une brûlure s’étend et va en s’écartant prendre toute la place pendant que le frottement s’intensifie, ça claque en fouet, quelque chose s’échappe comme un cri, il faut éteindre pour réparer. Le projecteur est muni d’un système de plaques qu’on fait descendre pour maintenir le ruban à l’endroit où couper, un levier qui fait lame se baisse deux fois, ensuite on replace les morceaux bord à bord très soigneusement, on recolle et la mer revient. Des cagoules noires avec des torches, l’Espagne. Un garçon sur ses skis entre deux sapins. Un parasol, une chaise longue, une petite fille à chapeau rouge en forme de pot de fleur inversé. Un pédalo. Un repas sur la plage le 15 août, la nuit, un feu de camp et des saucisses ficelées que l’on porte en colliers. Un pigeonnier dans le Sud-ouest, du grillage sur les portes des tourterelles. Une véranda, une toile cirée, les couleurs violentes, saturées, tous attablés, des mouvements vifs, trop rapides, il manque des images par seconde, balancements et saluts, les regards échangés tracent des lignes invisibles à la surface de l’écran, invisibles entre nos regards et les leurs, un tressage dru, filet de lignes scellées ensemble, avec les trous là où les morts se lèvent, se servent un verre de limonade, rient, se recoiffent et nous fixent, nous, assis sur les chaises stupéfaites, nous les miroirs d’un endroit inconnu dont on n’ignore aucun détail, un lieu qu’on saurait retrouver sans se tromper tant la route qui y mène est familière, mais si longtemps qu’on roule on ne les rejoint pas. La petite taupe en lettres russes bascule et se cache dans un trou. Les écureuils farceurs jonglent, se lancent du pop-corn, de la neige, puis recueillent un oiseau bleu de Klein. Tout est replié à l’étage en haut de l’escalier qui grince un peu moins souvent et un peu plus doucement. L’écran rangé derrière la porte, il sera pour toi elle a dit – je fais semblant de ne pas avoir la bouche pâteuse –, même enroulé, coincé contre le mur, il garde la même odeur ; je ne sais pas ce que je vais faire de sa grande ossature.
(j’étais décidée à suivre la direction de l’atelier d’hiver de François Bon, mais le texte n’a pas voulu)

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(site sous licence Creative Commons BY-NC-SA)

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