Dominique Hasselmann dans Tableau d’outre-neige (#vaseco de février 2013)
vendredi 1er février 2013, par
« (...) pourquoi ne pas imaginer, le 1er vendredi de chaque mois, une sorte d’échange généralisé, chacun écrivant chez un autre- ? Suis sûr qu’on y découvrirait des nouveaux sites (...) ». François Bon et Scriptopolis ont lancé l’idée des Vases Communicants.
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Ce jour, plaisir de l’échange avec > Dominique Hasselmann
du blog > Le Tourne-à-gauche ,
que l’on peut lire aussi en 140 caractères sur twitter : @dhasselmann)
et en 140 tunnels ici :
Nous avons chacun pris une photo nocturne et neigeuse, l’avons envoyée à l’autre comme point de départ d’un texte, tout en la gardant à l’esprit pour écrire
(ce qui donne deux textes avec une photo visible et une autre "invisible"...).
(ma contribution ici)
Les autres vases communicants de décembre 2013 se trouvent répertoriés
à cette adresse grâce aux bons soins de
Brigitte Célérier, qu’on ne remerciera jamais assez !
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Tableau d’outre-neige
On a jeté des draps un peu partout, personne ne sait qui est à l’origine de cette initiative. Il faut donc marcher dessus et c’est toujours gênant de laisser des traces sur du blanc – lui qui les repousse par son existence même – et l’on pourrait remonter jusqu’au profanateur pour lui faire expier son acte iconoclaste, il paraît que cela arrive environ une fois par an, c’est une coutume dans ces pays-là, un peu comme une grande lessive mais horizontale au lieu qu’elle soit pendue à des fils, dans un jardin, avec des pinces à linge en bois.
On aimerait se coucher dans ces draps mais les bouillottes ont disparu des maisons et du paysage (elles sont réservées maintenant aux terrasses de cafés), et puis trop de voisins se baladent qui viendraient empiéter sur notre lit, les SDF possèdent des sacs de couchage, des tentes Quechua, tout le confort, quoi, ici les draps enveloppent tout le monde, c’est bio et écologique.
On marche à petits pas afin de ne pas glisser, le verglas se réjouit déjà des bonnes farces qu’il prépare, le principe du mécanisme du rire à la Bergson est en place, plus hospitalière sera la chute ! Pourtant, je me souviens qu’en Franche-Comté (enlevez le « h » et vous retrouvez la nation) on était habitués à ce qu’ils appellent « l’hiver », on n’en faisait pas une maladie ni les premiers titres des infos à la télé, c’était attendu, supporté avec fierté et constance – seuls les Parisiens trouvaient que le froid était un peu rude, à cette époque, quand ils venaient faire du ski de fond du côté des Fourgs.
J’ai conservé une photo de cette période : avec le réchauffement climatique, elle n’existe plus du tout et je rends grâce à Niepce, Kodak, Yashica, Minolta, Nikon, Canon… d’avoir permis à tant de spectateurs impliqués voire indifférents de conserver tel ou tel souvenir de ces jours drapés.
Cette photo, je l’ai fait encadrer, pour moi c’est comme un tableau. Je l’ai reçue par Internet, elle doit bien remonter à une trentaine d’années, c’est une reproduction ; sa couleur sépia (non, ce n’est pas un filtre Instagram) atteste – sans avoir recours au Carbone 14 – de la date à laquelle elle a été prise : 21 janvier 1982. Elle est signée mystérieusement de deux initiales : C.J.
En l’examinant, maintenant qu’elle est accrochée au mur de ma chambre à coucher (là, je dispose d’une couette, pas nécessaire de refaire le lit au carré tous les matins avec les couvertures marron de la caserne de Montbéliard), je découvre une ombre étrange qui s’avance sur le sol encore presque vierge : l’araignée est démesurée, elle a fait le tour de la maison, sans doute, elle surveille les lieux, elle rôde avec ses congénères, j’espère qu’il n’y a pas un enfant dehors – la température les maintient au chaud, heureusement.
Ne faudrait-il pas avertir du danger celui ou celle qui a pris cette photo ? Mais, il y a si longtemps maintenant, l’abominable insecte a dû forcément ou férocement disparaître de la surface de la terre, à moins qu’il ait tissé les liens invisibles de son hexagone de soie dans les parages et que ses rejetons préparent quelques mauvais coups ?
Cette toile, entrelacs de liens argentés visibles seulement par grand soleil, me rappelle une autre image captée dans ces années-là, et envoyée récemment à une amie (histoire de se souvenir des sensations « climatisées »), mais j’ignore ce qu’elle a pu en faire. C’est une photo purement aveugle, qui ne dit apparemment rien d’autre que ce qu’elle montre : je me demande alors, ici, ce que voit réellement une araignée dans un tableau d’outre-neige.
(Duke Ellington, Limehouse Blues)
texte : Dominique Hasselmann
photo : Christine Jeanney
Messages
1. Dominique Hasselmann dans Tableau d’outre-neige (#vaseco de février 2013), 1er février 2013, 07:29, par brigitte Celerier
et le plaisir est aussi grand ici -
deux billets en plaisir des mots, en intelligence et fantaisie - merci à vous
2. Dominique Hasselmann dans Tableau d’outre-neige (#vaseco de février 2013), 1er février 2013, 07:51, par Louise Blau
plein d’araignées dans les placards, tissant leurs lignes et leurs toiles
3. Dominique Hasselmann dans Tableau d’outre-neige (#vaseco de février 2013), 1er février 2013, 08:42, par M
Dès le titre on savait qu’on entrait là dans un royaume préservé du temps mais pas de la poésie, dont la plus haute forme est parfois la fantaisie et l’humour.... Voilà pour l’auteur.
Et pour la photographe, avec mes compliments, et puisqu’à un poème disait Prévert (je crois...) la seule réponse à faire est un autre poème, voici ce que ce chemin de neige piétiné me rappelle :
Upon the half-thawed snow the bleating sheep
Press close against the hurdles, and the shivering
housedogs creep
4. Dominique Hasselmann dans Tableau d’outre-neige (#vaseco de février 2013), 1er février 2013, 08:47, par PdB
la neige, comme un manteau de coton (ah, ce Duke...!)
5. Dominique Hasselmann dans Tableau d’outre-neige (#vaseco de février 2013), 1er février 2013, 09:02, par Dominique Hasselmann
@ brigitte Celerier : merci !
@ Louise Blau : la toile s’est étendue de ton côté...
@ M : un "blues" que je ne connais pas :)
@ PdB : "Cotton club"...
6. Dominique Hasselmann dans Tableau d’outre-neige (#vaseco de février 2013), 1er février 2013, 09:05, par Pierre R. Chantelois
Je suis un SDF de l’hiver qui retrouve sa demeure en saison printanière jusqu’aux confins de l’automne. Et j’admire cette Franche-Comté qui a pu s’habituer à ce qu’ils appellent « l’hiver ».
7. Dominique Hasselmann dans Tableau d’outre-neige (#vaseco de février 2013), 1er février 2013, 09:50, par giovanni merloni
L’élégance de cette écriture de funambule se marie bien à la neige. D’un côté le risque de se casser le cou, de l’autre le souci de laisser une trace presque invisible sur cette surface ultrasensible. C’est peut-être la plus difficile des contraintes, le plus contraignant des rythmes. En même temps, cette légèreté, cette capacité de savourer même les nuances les plus imperceptibles, me rappelle l’aliment que j’aime le plus, auquel je voudrais qu’on fasse un petit monument. La POMME DE TERRE. Elle dépasse en bonté tout les autres merveilles gastronomiques parce que sa saveur... est tellement proche à l’absence de saveur... Voilà. Merci
8. Dominique Hasselmann dans Tableau d’outre-neige (#vaseco de février 2013), 1er février 2013, 09:58, par Dominique Hasselmann
@ Pierre R. Chantelois : il est sûr que l’hiver là-bas (que j’ai connu) est plus sévère qu’à Paris...
@ giovanni merloni : mais, ici, comme vous le savez, on n’est pas loin de l’avenue Parmentier !
9. Dominique Hasselmann dans Tableau d’outre-neige (#vaseco de février 2013), 1er février 2013, 16:13, par dom a
Cauchemar issu d’un zapoï ?
J’ai tout de suite pensé à Limonov, errant dans la Vème avenue après un énième dépit (de boisson et/ou d’amour)
10. Dominique Hasselmann dans Tableau d’outre-neige (#vaseco de février 2013), 1er février 2013, 19:08, par czottele
j’aime la trace de vos encres de nuit sur ces draps blancs de page... bel échange... merci
11. Dominique Hasselmann dans Tableau d’outre-neige (#vaseco de février 2013), 1er février 2013, 19:41, par Anthropia
Merci pour cette écho entre vous, l’énigme de la photo, le dessus, le dessous, le drap blanc qui recouvre, qui scelle et qui révèle, et puis là-bas, la Franche-Comté, à croire qu’elle inspire cette satanée.
12. Dominique Hasselmann dans Tableau d’outre-neige (#vaseco de février 2013), 1er février 2013, 22:27, par Dominique Hasselmann
@ dom a : merci pour le "zapoï" (lu récemment dans "Le Nouvel Obs" les déclarations très sensées de Limonov par rapport à l’encensement de "la démocratie russe" par Depardieu, par ailleurs propagandiste publicitaire, entre autres, d’une vodka russe)...
@ czottele : merci en retour (mais la neige n’aura pas duré longtemps !).
@ Anthropia : nous avons essayé, Christine et moi, qu’il y ait des "correspondances" entre ces deux "posts" un peu givrés.
13. Tableau d’outre-neige, mémoire de train de nuit, 2 février 2013, 10:41, par Philippe Aigrain
Merci Dominique (et C.J.) de ce voyage qui me ramène dans les couchettes du Paris-Vallorbe-Suisse de mon enfance quand, me réveillant parce le train était à l’arrêt, je relevais sans bruit le rideau pour jeter un coup d’oeil sur la neige promise et découvrait la lueur blafarde des réverbères de gare.
14. Dominique Hasselmann dans Tableau d’outre-neige (#vaseco de février 2013), 3 février 2013, 16:59, par Dominique Hasselmann
@ Philippe Aigrain : la neige reste toujours une piste de... décollage pour les rêves !
15. Dominique Hasselmann dans Tableau d’outre-neige (#vaseco de février 2013), 3 février 2013, 17:01, par Catherine Désormière
Énigme de ces araignées telles les sorcières gardiennes de lieux interdits.
Qui vit dans le sous-sol ?
16. Dominique Hasselmann dans Tableau d’outre-neige (#vaseco de février 2013), 3 février 2013, 17:04, par Dominique Hasselmann
On hésite à creuser sous la couche encore fraîche...