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[à l’intime (et roumégations)]

#suite à un tweet #texte #Flusser #écrire 2

jeudi 29 novembre 2012, par c jeanney

La réfléxion (personnelle) que j’ai entamée hier ici sur Le geste d’écrire continue (car, il faut bien le dire, le texte de Vilèm Flusser aussi continue, donc je m’aligne sur lui en m’en servant comme d’une base pour organiser mes idées.

Pour écrire "il nous faut" dit Vilèm Flusser... et il propose une liste : surface vide, outils, formes, règles, idées, motifs, etc.

J’aurais envie de dire que tout ce qu’"il nous faut" se trouverait peut-être bien en amont de ces circonstances énumérées et les précéderait.
Comme si une prédestination de l’acte, une anticipation de celui-ci était déjà en marche, bien avant son arrivée et sa présence effective.

Une fois l’anticipation, ou l’urgence, ou la nécessité, ou le besoin, ou la pulsion, quel que soit le nom qu’on pourrait lui donner, une fois donc que cette intention, pour la nommer rapidement, précède l’acte d’écrire, il s’agit de trouver une surface libre (papier, écran, tablette, dos de chéquier, etc.) et un outil scripteur adapté (en accord avec la surface hein, parce qu’utiliser un burin et un marteau sur un ipad est une entreprise risquée, tout comme chercher le clavier au dos du chéquier est voué à l’échec) (et c’est bien triste, au fait).

Dans ce que dit Flusser, j’ai l’impression d’un manque de prise de distance avec le réel. Comme si le savant posait son nez sur la page jusqu’à loucher et ne voyait plus devant quoi il se trouve, une affiche de cinéma ou le mode d’emploi d’un motoculteur.
Par exemple : "Les formes emmagasinées dans nos mémoires (crayon)" et celles emmagasinées dans la "mémoire de l’outil (machine à écrire)" sont différenciées ici.
Quel besoin ? Ce ne sont pas les mêmes ? C’est pourtant un être humain qui a fabriqué la machine à écrire /le clavier. Avec, j’espère, une mémoire des lettres très proche de la nôtre, voire carrément similaire en tout point.

L’expression employée, "la mémoire de l’outil", me gêne aussi énormément. Cette mémoire qui serait déléguée, qu’on aurait transmise à l’outil, transférée, placée comme en autonomie à l’intérieur de l’outil/ de la machine.
L’outil est pourtant une construction humaine, un prolongement de notre raisonnement, l’aboutissement de notre pensée pour faciliter une tâche ou combler un besoin.
Aller chercher, pour écrire, des lettres qui se trouveraient dans "la mémoire de l"outil" reviendrait donc à les chercher en soi-même, car nos doigts sont à la manœuvre.
Cette expression me semble aussi hasardeuse que propice à la dérive. C’est facile ensuite de s’en servir comme point de départ de constats déprimants (et déprimés) du style "ils ne savent plus écrire maintenant, c’est la machine qui fait tout" (ce qui me rappelle ces plaintes répétées de "nos enfant ne sauront plus compter" quand les calculatrices ont été autorisées dans les classe).

Lorsque je cherche sur un clavier les lettres qui servent à composer le mot que je veux écrire, c’est ma mémoire qui travaille (pas celle du clavier). Et elle travaille peut-être plus que la normale, en vigilance accrue, car je me tiens prête à mettre en doute les mécanismes de la machine, par exemple lorsque le correcteur automatique (convecteur muriatique ?) me fait des propositions aberrantes, ou veut m’imposer une majuscule lorsque je ne le souhaite pas, ou souligne une faute d’accord parce qu’il ne comprend pas la construction de la phrase, ou lorsqu’il trouve correct d’écrire "palais de hockey" au lieu de "palet de hockey". (les traitements de texte n’y connaissent rien en sport)

En lisant la suite du texte de Frusser, je me questionne (toujours dans ce qu’"il nous faut" pour écrire) sur ces règles qui "signifient" et "ordonnent" : orthographe, grammaire.
Ainsi, elles arriveraient, ces règles, avant qu’on se lance dans l’écrire.
(tiens, je vais bricoler, où est mon tournevis ?)
J’aurais tendance à penser, mais c’est peut-être une banalité ou une bêtise, que ces règles, qui appartiennent au langage, participent au langage et viennent avec la langue, dans un même flux qu’elle, en même temps, la langue portant et formant notre pensée au fur et à mesure qu’elle s’exprime. Donc pendant et pas en pré-supposé, comme on installerait une table pliante en vue de poser le fer à repasser dessus. J’imagine mal un "vous utiliserez la langue écrite seulement lorsque vous connaîtrez orthographe et grammaire parfaitement" (et heureusement, je serais bien embarrassée si c’était le cas).
Il me semble que les règles portent, accompagnent, manquent ou épaulent, trouvent un rôle au moment où j’écris. [1]
Les règles, qui apparaissent pendant l’écriture, continuent à jouer ensuite et à agir, comme des points de friction ou des ficelles à tirer pour modifier, corriger, le texte. Mais uniquement si je le décide, car rien ne m’empêche d’inventer des mots, de m’affranchir des règles de typographie, de malmener l’orthographe pour écrire phonétiquement par exemple, de dire autre chose, de dire autrement, différemment.
Bref, si j’ai besoin des règles pour écrire, je n’en fais pas un rapide inventaire avant de me lancer, et c’est cette impression que me donne le texte de Flusser.
(comme au décollage d’un avion : Surface vide ? Check ! Outil ? Check ! Orthographe ? Check !)

Or donc, et pour résumer, j’ai l’impression que les "données indispensables" à l’écrire se cachent ailleurs que dans le texte de Flusser, et ne se trouvent pas non plus dans mon texte d’ailleurs...

(encore bien du travail, petit scarabée, tu as, murmura Maître Yoda à mon oreille, et je l’approuvis)("approuvis" : is, car approuvir est un verbe du 3e groupe, aucun doute là-dessus)


[1C’est d’ailleurs pour cela que l’on peut commencer à écrire très tôt, bien avant de connaître le subjonctif imparfait et l’accord de l’auxiliaire avoir avec cet infâme cod (Il faut avoir assisté à une séance de production écrite en maternelle grande section, où les enfants vont chercher dans tel ou tel album comment s’écrit tel ou tel mot et forment ainsi leurs propres phrases, parfois extrêmement personnelles). D’une manière pragmatique, écrire serait possible dès qu’existe la capacité à utiliser et assembler les formes des lettres dans ce but, enfin, c’est en gros ce que je crois.

Messages

  • Ah comment j’approuvis moi aussi ! et comment je rigolis (du verbe rigolir) en lisant "parce qu’utiliser un burin et un marteau sur un ipad est une entreprise risquée"... Certes, on a besoin d’un tas de choses pour pouvoir écrire, mais la plupart sont généralement en notre possession (les outils matériels, un bout de papier, un stylo à bille, à moins qu’on soit en prison, sont d’accès facile, et quant aux règles de base on les a depuis longtemps mémorisées...) En fait j’ai l’impression que Mr. Flusser se pose des faux problèmes, mais que ça m’est tout à fait égal parce que ça donne l’occasion à Chrstine Jeanney de dire des choses très justes. Et souvent bien drôles !

  • je me suis permis, bien cachée en moi, de commencer à rire en lisant le texte, un peu, à demander au feutre qui se cache quelque part sur ma table quelle était sa mémoire, à penser in peto que moi y en a être très forte parce que moi y en a "écrire" parfois sans idée, ou du moins sans en être consciente - et puis ai lu maître Christine, me suis sentie moins en nécessité de me cacher, ai ri du burin et du carnet de chèque, ai pensé que oui il valait mieux que je n’attende pas d’avoir grammaire et orthographe bien en main (honte à moi) - par contre il a raison je crois, il faut des règles et d’ailleurs elles sont là, forcément, juste pour que nous puissions nous en libérer

    • Ah oui, d’accord avec lui, avec vous, il faut des règles et c’est parfois une joie d’en saisir toutes les circonvolutions ! Mais je mets en doute cette obligation des règles "avant" l’écrire, comme l’obligation de boutonner sa veste avant de sortir. Les règles imprimées dans notre mémoire y sont forcément, sans qu’on ait besoin de les brandir pour vérifier qu’on peut écrire (enfin, c’est comme ça que j’ai compris sa liste)...
      Et puis vous avez raison, il y a aussi un écrit qui vient "sans qu’on en ait conscience", "sans idée" préalable, j’aime beaucoup d’ailleurs quand l’expérience arrive de cet écrit "malgré soi", hors contrôle ! :-)

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