temps énergie échec et wagons
dimanche 3 février 2013, par
quand même étrange cette question du temps et de l’énergie
(pas la question du temps d’un côté et celle de l’énergie de l’autre, mais les deux mêlés, temps-énergie, il faudrait presque un mot pour ça, est-ce qu’il existe ?)
il y a remplir et faire sens à l’intérieur (et le temps-énergie devient un seul mouvement),
et puis aussi une sorte de faim naïve, celle de croire qu’ensuite, après ça, après ça, on pourra, il y aura la place, alors la faim devient grosse de finir
pas la faim de faire vite, juste qu’on n’a aucune envie de manger autre chose, et que la suite est pleine de promesses, cette faim-là décide
mais quand le repas est fini, la faim reste (c’est idiot, on devrait pouvoir le prévoir à force)
tout ça pour dire que j’ai commencé hier à traduire The Waves de V Woolf. J’ai bien avancé : j’en suis à la deuxième phrase. Pas à la fin de la deuxième phrase, mais au milieu. À cause de tous les possibles, et de toutes les tentatives possibles de rendre, de s’approcher, de donner couleur.
"Toute traduction échoue et avoue son échec puisqu’elle se nomme traduction" dit Goldschmidt, mais il ne faut pas croire que c’est une défaite-échec, ou une négative-défaite-échec, non, c’est un constat, qui dit seulement que rien n’est égal au texte que le texte lui-même, et qu’un autre, forcément autre, échoue à être identique. Et même c’est presque un échec-joie, un échec-ouverture. Car devant une même phrase chacun trouvera en lui une différente approche, un assemblage qui sera sien pour s’approcher du texte. C’est un échec-chance et un échec-enfantement quand on y pense : à partir d’un seul texte et au fil des ans, il en naîtra des dizaines d’autres, en différentes langues et différents rythmes et différentes couleurs, et d’autres encore, et encore d’autres.
(ensuite, ceux’ss qui aiment les médailles et les rangements verticaux diront "cette traduction c’est la meilleure, oui, celle-ci est la mieux", parce qu’ils ont besoin de hiérarchiser les tabourets quand ils en trouvent. Alors que c’est seulement une question de tempo qui nous parle, ou de rythme qui nous parle, ou d’ambiance qui nous parle. La traduction échec-et-chance dit qu’il n’y a pas de mot "parfait", de phrase "parfaite" qui traduise parfaitement une autre langue)
Ma tension-faim-temps-énergie (décidément, je ne m’en sors pas avec mes mots wagons) pour traduire, et ma tension-temps-énergie-faim pour écrire sont les mêmes. Dans les deux cas c’est s’approcher le plus possible d’un point qu’on ne sait pas définir. Quand j’écris, ce point est dans mon crâne (sensation, volonté, souvenir, invention), quand je traduis, ce point a été fabriqué par quelqu’un d’autre, et c’est encore plus mystérieux.
Messages
1. temps énergie échec et traduction, 3 février 2013, 09:42, par Elizaleg
Bien sûr pas de traduction parfaite... pour les Vagues je n’ai pas trop été emballée par celle de Yourcenar, alors bon courage à toi !
2. temps énergie échec et wagons , 3 février 2013, 09:49, par czottele
t’envie, t’en veux, t’en vis, tant mieux... rien que ça, Les Vagues, de ma Virginia, celle qui a traduit mieux que je ne saurai jamais les flux et reflux de ma conscience... mais parce que tu en es à la deuxième phrase -déjà- au milieu - je sais que tu ne nous trahiras pas
3. temps énergie échec et wagons , 3 février 2013, 09:50, par Dominique Hasselmann
Si l’auteur à traduire est une locomotive haut-le-pied, ça devrait rouler tout seul...
4. temps énergie échec et wagons , 3 février 2013, 10:52, par brigitte Celerier
de toute façon, peut-il y avoir une bonne traduction définitive, surtout des vagues (je ne sais pas, je pense que c’est spécialement l cas là, et qu’il ne peut y avoir que deux esprits qui se conjuguent plus ou moins bien, au goût de chacun, .. que toute traduction est bonne et insuffisante, que c’est donner Sa lecture d’un texte qui ne tranche jamais - bon, suis très maladroite là : en gros Virginia en ce texte spécialement c’est un peu l’insaisissable et il sera passionnant de découvrir votre Virginia)
admiration grande et sincère et merci
5. on fait toujours dérailler un train, 3 février 2013, 17:44, par martin dufresne
Je viens de boucler avec mon amie michele briand la traduction d’un ouvrage-synthèse de la grande Andrea Dworkin, Right-Wing Women (Les femmes de droite - http://www.editions-rm.ca/livre.php?id=1436) où elle cite plusieurs fois Virginia Woolf et sa vision à la fois ambitieuse et quasi désespérée des femmes.
La langue de Dworkin claque de constats assenés avec amour ; nous en avons lu chaque phrase à voix haute pour tenter de ne rien perdre de cette énergie lancinante. (Le livre vient d’arriver en librairie et je le recommande chaleureusement !)
J’ai hâte de lire ce que vous ferez des Vagues. À Montréal, une comédienne renommée consacre dès aujourd’hui trois spectacles à sa lecture intégrale d’Une chambre à soi : http://www.espacego.com/saison2012-13/virginia.php
6. temps énergie échec et wagons , 3 février 2013, 19:09, par Christine Jeanney
Merci pour tous vos commentaires (ça fait autant de tapes amicales dans le dos pour y aller :-))
7. temps énergie échec et wagons , 4 février 2013, 05:16, par Pierre R Chantelois
Je vois dans une traduction une sorte de passage sombre avec un éclairage d’appoint pour rapprocher davantage deux personnages en quête de dialogues, l’auteur et le lecteur. Et les mots peuvent être des radeaux qui mèneront le lecteur à la dérive sans avoir pu approcher le sens de l’auteur. Dualité, dualité et toujours dualité.
8. temps énergie échec et wagons , 8 février 2013, 09:46, par Danielle Carlès
Toujours un peu l’impression de transgresser quand on traduit.