journalier 21 04 15 / des ramifications
mardi 21 avril 2015, par
– Comment quelqu’un qu’on n’aime pas, ou qu’on apprécie pas, est-il capable d’aimer les mêmes musiques, les mêmes paysages, les mêmes tableaux, les mêmes textes que soi ? Comme s’il y avait des ramifications communes à se partager avec d’autres pourtant très différents, opposés même dans leur sensibilité. Et je ne parle pas des dictateurs qui caressent la joue des enfants ou écoutent du Brahms, l’exemple est caricatural, ce sont des cas où tout m’échappe. Mais celui qui n’a tué personne, dont le nom n’est pas écrit sur une liste entre Voldemort et Caligula, qui serait fondamentalement inconnu de moi, par exemple cynique ou sec, droiturié, imperméable au doute, comment se peut-il qu’il aime ce que moi j’aime sans que l’univers explose, désaccordé ?
– Et suivant le même fil, comment se fait-il que certains soient sensibles à la virtuosité pure, celle dénuée de substance ? Ce pianiste tout à l’heure, une performance dont il était très fier, doigts élastiques, sans doute sur son visage l’expression qu’il avait à six ans, sur son vélo, maman, regarde, sans les mains, et il est admiré, une émotion sans doute sincère, je ne comprends pas. Ceux qui ont faim de contempler les "réussites", les fortunes colossales, les yachts, les mariages princiers, les stars qui portent en vêtements et brushings ce qu’une famille entière dépenserait en une vie. Un plaisir à penser "chaque chose est à sa place, ceux du haut sont en haut et moi en bas, c’est rassurant" ?
Comme si les ramifications diverses de sensibilité s’étaient vues atrophiées ou coupées sous la scie d’une pensée qui ordonne, pyramidale, un rangement cosy, ordre croissant et décroissant. Le gène de l’asservissement, comme le gène de la bonhommie chez l’animal domestiqué depuis des millénaires. Pourquoi les chevaux de course, ils sont puissants, rapides, ne nous envoient pas tous valser à coups de sabots dans les crânes ? Cette gentillesse qu’ils ont. Ou un gène de dressage bien ancré, installé dans un pli des méninges, qui fait qu’on s’incline et sous sa force on implore, Ô Pharaon, il fait si chaud, adoucis ma misère, accorde-moi l’immense joie de t’éventer.
– Pourquoi tant de différences. Qu’est-ce qui fait pression dans un sens ou dans l’autre, courbe les ramures ramifications du cerveau, à quel âge. Qu’est-ce qui provoque l’acceptation d’être soumis, de vivre en subalterne. Quels parents impérieux et dictatoriaux faut-il avoir pour adopter la certitude qu’admirer ceux d’en haut, virtuoses, quêteurs du vide, est une belle chose, souhaitable, naturelle, "normale". La foule pour regarder un homme jouer au poker, pour l’applaudir lorsqu’il pose sur la table quatre morceaux de carton décoré.
– Tant de ressemblance, de différences, photos de chats mêlées aux bateaux naufragés, la Terre ne devrait-elle pas s’ouvrir en deux et s’effondrer ?
– Je vais voir la mer. Sur la plage, des passants l’aimeront aussi, la trouveront douce, violemment douce, terrible, délicate, vivante. Et ces passants seront très différents de moi. Ou très semblables. Mais nous marchons ensemble finalement, on pourrait voir ça comme une chance. On ne sait jamais à l’avance ce que donne l’anarchie des ramures, les questions retournées, l’admirable, l’inutile, c’est selon.
(sur les photos une recherche) (admirable)
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Messages
1. journalier 21 04 15 / des ramifications, 21 avril 2015, 20:04, par brigetoun
et comment des gens que l’on aime, que l’on estime, dont on ferait bien un modèle si on était encore malléable, peuvent ils parfois avoir un goût si dissemblable du notre - aimer ce que l’on déteste presque
Avec toujours un moment d’hésitation, de remis en cause de notre jugement, avant de trancher : non
mais c’est pas grave, juste curieux
1. journalier 21 04 15 / des ramifications, 22 avril 2015, 11:22, par Christine Jeanney
Oui, toujours hésiter avant de reprendre sa "raison". Des mécanismes qui m’échappent sérieusement (sans doutes des expériences très différentes, mais je n’imagine pas lesquelles, ma tête trop étroite :-)). Et c’est vrai que ce n’est pas grave, juste étonnant (comme pourquoi certaines notes de musique provoquent un serrement à la gorge et pas d’autres, cette chimie qu’on possède et qu’on promène sans avoir la moindre idée de comment elle fonctionne :-))
2. journalier 21 04 15 / des ramifications, 22 avril 2015, 09:04, par annaj
la ressemblance entre nous tous est d’une source si profonde : nous sommes attachés à la vie, à ceux que l’on aime. on souffre tous des mêmes sévices, des mêmes maux. nos parures-ramures, quant à elles, nous offrent les différences, nous dissocient parfois irrémédiablement du groupe. mais on creuse un peu et c’est la même sève.
et un jour on saisit qu’on est la laideur, la bêtise, l’incroyablement stupide, d’un voisin. notre belle image de nous-même se voile... on est l’incompréhensible dans le regard d’un autre.
( et plus particulier, plus "spécial", moins convenu vous êtes, plus vous serez jugé et déclassé. c’est la loi du plus grand nombre et du pouvoir de la masse. amen)
1. journalier 21 04 15 / des ramifications, 22 avril 2015, 11:26, par Christine Jeanney
Oui, tu as raison, ces regards croisés (le nôtre, ceux des autres) font comme des lignes éclatées en soleil (ou comme le dessin symbolique d’un virus :-)), et nous rêvons peut-être les autres comme eux nous rêvent (ou nous cauchemardent ! :-)))
3. journalier 21 04 15 / des ramifications, 22 avril 2015, 09:05, par annaj
mais en fait je commente un peu hors sujet...oui excuse-moi
1. journalier 21 04 15 / des ramifications, 22 avril 2015, 11:27, par Christine Jeanney
euh non, point du tout Anna (le hors sujet, je ne trouve pas, tout communique :-))
4. journalier 21 04 15 / des ramifications, 22 avril 2015, 09:15, par Dominique Hasselmann
Je repense à l’admirable "Discours de la servitude volontaire" d’Etienne de la Boétie (on croit souvent qu’il n’était que l’ami de Montaigne).
À transposer dans d’autres domaines que celui de la politique...
1. journalier 21 04 15 / des ramifications, 22 avril 2015, 11:28, par Christine Jeanney
Oh oui, cette transposition très parlante, merci Dominique :-))