Hachème des changements
dimanche 31 août 2014, par
- au rythme d’un par jour -
- tous les hachèmes ici -
D’abord, une à la fois, parce que je débutais. Je suivais un chemin
malcommode. Il fallait enjamber les pierres, danser des routes pour
indiquer aux autres les traînées de miel les plus fraîches et le puceron
à traire - et elles ne comprenaient pas toujours, elles se perdaient, j’étais
novice. Puis rapidement, l’habitude venant avec l’audace, j’étais plusieurs. Je filais les allers-retours, dessinant des lignes sinueuses sur le sol, qui se croisaient, s’entrecroisaient en tresses, sans s’arrêter au sable ni aux cailloux. Bientôt, l’audace appelant la fougue, les fourmis, je les étais toutes. Je m’infiltrais dans les sous-bassements, les failles des recoins, le
contour des fenêtres - et mes têtes lorgnaient dans toutes les directions - ,
je m’engouffrais sans hâte aux plafonds éventrés, entre les lames décollées
du formica, les anses des seaux abandonnés, les brèches, les charnières des volets rongés de pluie, de rouille, de vent des mers, sur les éperons rocheux j’escaladais les murailles jaunies des tours crénelées et creusais sous la terre pour m’enrouler sous les oignons sucrés des narcisses, de là, un peu de moi revenait au nid, au creux du labyrinthe de galeries, pour charger sur mon dos des œufs, des œufs de moi qui s’épandaient et je m’épandais avec eux en fleuve incompressible, je ruisselais, chevauchant des cadavres de mantes religieuses que mes mille mandibules réduisaient en brindilles cassantes, croquantes, croustillantes, ce bruit que je faisais, ce bruit crissait aux oreilles des hommes, un grincement permanent, un sifflement, une nuée de cris engendrée par mes pattes, millions de pattes, dévastant les mines abandonnées, leurs couloirs noirs, les ruines des typhons à ciel ouvert, les ventres offerts des collines dociles et jusqu’aux berges des lacs les plus élevés, ceux qui surplombent le monde, l’espace vibrait, ce bruit énorme résonnait, insupportable, c’était lui cette nuit, je me bouche
les oreilles et l’on frappe à ma porte pour me faire
taire, mais je ne peux pas, je suis fourmis.
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(site sous licence Creative Commons BY-NC-SA)
Messages
1. Hachème des changements, 31 août 2014, 10:23, par brigetoun
portant toute la persévérance têtue du monde comme toutes les fourmis..
même face aux gamins joueurs qui compliquent les routes, fourmis avance, ruse, repars
1. Hachème des changements, 31 août 2014, 11:27, par Christine Jeanney
Oui, la persévérance muette :-) (elles me fascinent toujours)