W5 . 19 * deux papillons de fer
lundi 4 septembre 2023, par
-* [protocole (5 textes 5 images tous les 5 jours)]
Un. J’aime la lumière le matin. J’aime le mélange entre les lumières humaines et la lumière qui arrive du ciel, ce moment d’attente où la lumière du ciel vient rencontrer, contrarier, effacer celle des humains, mais parfois c’est l’inverse et il y a une photo impossible devant chez moi. Sous le porche, derrière la grille, la lumière du ciel monte, les ombres de la grille montent et font naître un dessin sur le mur, un dessin magnifique pour dire les choses clairement, feuillages, barreaux, construction. Un dessin visible depuis un certain point, un certain angle, mais un détecteur de présence allume le plafonnier sous le porche et l’annule. En une seconde. Je ne peux pas le prendre en photo. Je peux tourner autour. Photographier la lampe témoin (du système de surveillance) derrière une porte. Photographier la fenêtre allumée (quelqu’un se lève). Photographier la vitrine éclairée (quelqu’un passe l’aspirateur). Je peux tout photographier sauf ce que je veux. C’est le principe. Le principe du matin, le principe de la lumière du matin.
UnDeux. Je ne peux pas photographier la plume blanche qui tombe de l’arbre de la Liberté en dessinant une vague verticale. Je ne peux pas photographier le reflet dédoublé de la lune sur la fenêtre, ou si je le peux, c’est mauvais, mon appareil ne voit pas ce que je vois. Quand je photographie un reflet, je ne le reconnais pas. C’est comme si s’ajoutait un reflet au reflet, et ça ne correspond plus à ma vue, le résultat est autre, inconnu.
UnDeuxTrois. Je n’ai pas mon enregistreur avec moi pendant qu’un étourneau craquette, clique, cliquette, craque, clapote. On dit qu’il pisote. Quand il siffle, ce qu’il chante est si varié que ça donne le vertige. Je ne peux que l’entendre (sans pouvoir l’enregistrer) de loin. Il reste sur le toit, ne vient jamais près de la mangeoire. Quand je le vois se gratter la gorge avec sa patte, je ressens un étonnement ému. Je crois que c’est parce que c’est un geste que j’assimile au chien, aux mammifères, et que ça me rapproche de lui. Je ne sais même pas si c’est un lui. "La femelle a un iris un peu plus pâle." Mes chances de regarder un ou une étourneau dans les yeux égalent zéro.
UnDeuxTroisQuatre. Je photographie dans le noir en testant l’option cliché nocturne, et là aussi ça ne correspond pas à ma vue. C’est quand même perturbant cette question du visible.
UnDeuxTroisQuatreCinq. C’est la même chose (peut-être) avec les noms. On m’a appris, on apprend encore aux enfants des mensonges. Dans les abécédaires imagés, on écrit FLEUR sous une marguerite ou une tulipe, sans préciser qu’il existe quatre-mille sortes de tulipes différentes et vingt-sept-mille-sept-cent-soixante-treize sortes de marguerites. L’une des quatre-mille tulipes est dite noire (elle n’est pas noire) et nommée "Vincent van Gogh" (van Gogh ne l’a jamais peinte à ce que je sais). Ce qu’on entend, voit et nomme, n’est ni ce qu’on entend ni ce qu’on voit, et nommé sans raisons apparentes. Il y a bien de la légèreté dans nos certitudes.
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Messages
1. W5 . 19 * deux papillons de fer, 4 septembre 2023, 09:44, par PdB
peut-être qu’on a seulement cette impression : pouvoir tout"prendre" en photo - mais non, par exemple les sentiments n’ont pas d’image, de cliché, de photo, de représentation - les émotions non plus que les affects - peut-être que c’est très bien aussi que ces images-là restent à l’état de fantômes ou seulement dans la mémoire, inscrites un peu comme dans les rêves - les rêves - les mots nous mentent sans doute comme les images (on n’est pas bien armés ou insuffisamment)comme les images qu’on ne peut pas arriver à saisir mais c’est le jeu (seulement en temps de paix, probablement) que nous avons (comme on dit d’un instrument de musique) à jouer (après si tu restes un moment sous ton porche sans bouger du tout (mais tu peux respire doucement quand même je pense), il se peut que la lumière s’éteigne, parce que les automates sont tout ce qu’il y a d’automatique comme on sait...)