Anticipations d’Arnaud Maïsetti
samedi 6 février 2010, par
« Près de l’ancienne prison transformée aujourd’hui en musée, se tenait encore un pan du mur bâti en toute hâte lors de la dernière épidémie. Sur les parois hautes de plusieurs dizaines de mètres, on pouvait encore lire les vieilles inscriptions à demi effacées de la population jadis affolée, les prières adressées au mur, au ciel ou au gouvernement, de grâce protège nous, les appels à la contrition, pardonne nos enfants, les promesses de conversion, nous ne serons plus ce que nous sommes ; on devinait aussi par endroits des insultes étranges en forme de lettres illisibles mal recouvertes par des écritures plus nettes, plus officielles. »
Anticipations est une suite de textes, nouvelles, fables, qui interrogent le monde où nous vivons avec insistance.
On pourra toujours se rassurer en se raccrochant au terme de fiction. Rien n’est vrai : pas de livres essentiels interdits, pas d’épidémie en route, pas d’œuvres spontanées nées directement des machines, pas de foule qui se presserait, silencieuse, derrière des grilles, ni de rêves si puissants que nous serions à l’intérieur.
Pourtant, à chacune de ces Anticipations, Arnaud Maïsetti cerne une notion importante comme on entoure le détail qui cloche dans un jeu des différences. Que ce soit dans Le pan mur ou L’effondrement, c’est bien à nous qu’il s’adresse : quelle est la place que nous occupons, que sommes-nous prêts à accepter, à entériner, à concevoir, à fuir…
« Autour, sans ordre, sont répandues quelques pierres ; impossible de savoir si elles sont encore dressées ou seulement étalées par le hasard, et de toute leur hauteur, informes, déjà recouvertes par les mousses, trouée sous le vent, sculptées sans beauté par les années. On pourrait difficilement recomposer les perspectives, dans les ruines les directions ordonnées jadis par les maisons disposées de part et d’autre des routes — on ne saurait pas même distinguer la route des maisons, ni savoir si l’on marche au dehors ou si c’est dans une ancienne pièce, une chambre ou un couloir. Les bâtiments éventrés ne différent pas des trottoirs — on passe sans s’en apercevoir de la chambre au fossé. »
Arnaud Maïsetti dresse des épouvantails qu’il pare de nos hantises, de ce que d’ordinaire nous refoulons au fond de nos consciences, notre rapport aux morts, aux lois, aux lendemains, aux constructions…
Il use de cette matière pour créer des textes forts et esthétiques, chacun d’eux finement construit et placé sous une photographie qui interpelle par son angle de vue ou l’horizon qu’elle dégage. Et c’est comme dévisager une suite de statuettes posées sur leur piédestal, et en faire le tour lentement, intrigué par la symbolique qui en émane.
En contre-point, on peut également visiter le site de l’auteur, écrivain au travail. C’est l’accès ouvert à son atelier, avec photographies, textes, citations, et leurs prolongements, et toujours cette même intensité littéraire dans la recherche de sens, l’écriture en train de se faire.
« L’apprentissage de l’obscurité, c’était d’abord le ralentissement de chaque geste. C’était surtout l’écoute plus tendue encore du moindre bruit, du moindre froissement de silence qui formait devant soi tout l’espace — devenu comme le prolongement de nos corps : la profondeur infinie du monde. »
Anticipations d’Arnaud Maïsetti
à lire chez Publie.net(