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« la vie ça éparpille des fois / ça chélidoine et copeaux / ça bleuit ça noisette » [Maryse Hache / porte mangée 32]

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Baraques du Globe de Didier Daeninckx

vendredi 6 avril 2012, par c jeanney

« Café du Globe, école du Globe, rue du Globe, Globe Palace, quincaillerie du Globe, garage du Globe, boucherie du Globe, boulangerie du Globe, arrêt de bus du Globe, ici, tout était du Globe, mais personne ne savait pourquoi. »

Une question que se pose Didier Daeninckx au début de Baraques du Globe et qui trouvera sa (très belle) réponse, historique, anecdotique, en fin de texte. On pourrait aussi se dire qu’en s’attelant à ce projet, Didier Daeninckx propose son explication personnelle à la présence de ce nom, globe, une réponse voyageuse, imaginaire, affective, tannée et douée de visages. Une réponse autobiographique qui restitue des traces (La forme d’une ville, hélas ! change plus vite que le cœur d’un mortel, de Baudelaire) aujourd’hui recouvertes.

«  C’était à tout cela que je songeais, en juillet 2005, tandis qu’une pelleteuse plantait ses griffes d’acier dans les murs de la bicoque, perçait les ardoises usées du maigre toit posé par Ferdinand trois quarts de siècle plus tôt. La maison Phénix que les nouveaux propriétaires de la parcelle vendue par Eugène Grindel projetaient d’édifier là, ravivait les souvenirs. »

J’ai pensé à un autre Globe, celui de verre des boules que l’on retourne : sur le petit décor de la fausse neige tombe, zoom avant et l’on se retrouve propulsé à l’intérieur par magie, des portes s’ouvrent, des gens s’animent, ils s’appellent Ferdinand, Marie, etc., elle est blanchisseuse, lui s’y connait en essences de bois, et le dédale de leurs vies avec croisements, chocs et douceurs commence. Rien de mièvre, ni de platement féérique dans ce petit monde reconstitué, puisqu’il est réel.

De la guerre, des planches disjointes, des gueules cassées, des courses de chevaux, des films noirs, des exemplaires de Détective, Kid Colorado, des combats de boxe et des « gitans [qui] faisaient griller des côtelettes sur un feu de camp, alors que les flammèches montaient vers le ciel au rythme exact des accords plaqués sur les guitares » (alors, finalement, de la féérie aussi, mais de la vraie, la réaliste).

C’est un Globe refuge, un Globe carrefour de rêve, point de départ de vies que l’auteur rattrape d’une écriture précise. Et ça s’élève du sol, petitement mais sûrement, avant de s’étendre large.

« On acceptait les constructions en bois dès lors qu’elles étaient "recouvertes de peinture". Presque tout ce qui s’élevait se pressait vers le trottoir en terre que la moindre pluie transformait en un cloaque qui se mêlait à celui, plus tourmenté encore, de la chaussée. »

C’est une ville en naissance, en mutation.

« Entre le carrefour du Globe et les tribunes à l’abandon du cynodrome de Marville, une décharge sans fin remplaçait les champs où Ferdinand et Marie venaient peu avant glaner les pommes de terre de l’hiver. Il fallait traverser le chemin pavé de Gonesse bordé d’antiques becs de gaz qu’entretenait un allumeur, s’enfoncer dans le dédale des jardins ouvriers où poussait l’agaçante rhubarbe, passer le Moulin-Neuf, longer ce qui subsistait du Rouillon, contourner la Vieille Mer en phase de canalisation, patauger dans la boue glaiseuse du Ru. Des camions, par centaines, venaient déverser les gravats des démolitions, des fondations périphériques, les résidus des industries chimiques, le matériel réformé des administrations, les copeaux métalliques, les pièces mal usinées, les galettes phonographiques morcelées, des éclats de Bakélite. »

Baraques du Globe se tient d’un seul tenant, toutes ses baraques collées les unes autres comme pour se réchauffer, dans une chronologie serrée qui englobe (ah) large, du côté de Colmar, de Deauville, de la guerre d’Algérie à l’Huma, de Louis Jouvet à la plateforme du bus150. Et le portrait de famille reste, même si la pelleteuse a fini son travail.

« Tout le monde était là, la famille du côté des Belges, la famille du côté des Alsaciens, la famille du côté du Globe, les mutilés de 14, les compagnons de travail, le patron des Trois Marches, le boucher de cheval, la mère Gros, la mère Rose, la mère Vieillard, le vendeur de l’Huma, la gérante du Comptoir Français, tous les potes de Fernand, Chomon d’Austerlitz et le Chauffeur au premier rang. »

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