extraits de « Lire et écrire numérique : journal d’un désœuvrement » d’Arnaud Maïsetti
jeudi 6 juin 2013, par
(-> suivre ce lien pour lire la totalité
de l’intervention d’Arnaud Maïsetti)
(en photo, détail emprunté à son site)
« Le simple fait de co-joindre le temps de l’écriture et de la publication, de rendre publique cette parole de l’intimité (sans rien briser à la nature du rapport à soi de laquelle relève toujours cette parole) fait de l’atelier, l’espace noyau de l’écriture.
[...]
Le lecteur a vue sur l’atelier où se forge les outils, ce qui cause une grande rupture, dont on peine à prendre la mesure. C’est qu’il n’existe plus de chemin de ronde qui double en faisant le tour de l’édifice majestueux et clos. Le chemin de ronde devient l’édifice, non pas chemin circulaire d’ailleurs, mais carnets de grand chemins, pour reprendre le titre de Gracq, chemin en lui-même qui est la destination d’écrire.
[...]
C’est là le sens d’un travail en ligne, dont le mot dit mieux que tout peut-être sa portée : en ligne, c’est-à-dire, à travers la solitude essentielle dans laquelle s’écrit l’écriture, non pas s’aligner en rang, mais, comme ces chaîne d’or que tisse Rimbaud pour venir y danser d’étoiles en étoiles, quelque chose qui nous relie et nous rassemble, qui n’est pas la communion toujours dangereuse, mais la communauté désœuvrée de ceux qui ne partagent que ces lignes de partage (la ligne de partage dit la différence autant que l’ensemble), lignes de désir aussi, ligne dont la fuite est précisément le désir de lire, qui provoquera celui d’écrire.
Et de part et d’autre : le désir de nommer le monde, de lui appartenir.
C’est que finalement, sur internet, le lecteur et l’auteur se trouvent dans une position symétrique et semblable par rapport à ce qui est écrit : nulle conversation entre le lecteur et l’auteur, mais souvent un dialogue de texte à texte, sur les sites d’un lecteur devenu auteur le temps de son écriture, les sites de ceux qui interviennent à l’endroit où la parole a été prise, pour être reprise, donnée, échangée, brisée et partagée.
Ce qui donne le prix à ce partage ? L’amitié, non pas celle que l’on concède à celui qui est l’identique, mais celle qu’on offre comme une part de soi arrachée au temps dont on s’empare pour mieux inventer des espaces et des temps neufs où s’inventer soi-même, et inventer l’autre, là où soi-même et l’autre peuvent être les plus désirables. »