TENTATIVES

« la vie ça éparpille des fois / ça chélidoine et copeaux / ça bleuit ça noisette » [Maryse Hache / porte mangée 32]

ABC | PMG

M comme mai 68

lundi 1er janvier 2024, par C Jeanney

ABC | PMG
accompagne
Lotus Seven


La série a été programmée en France sur la deuxième chaîne de l’ORTF mais sans les épisodes 13 (« L’impossible Pardon », Do Not Forsake Me, Oh My Darling), 14 (« Musique douce », titre original Living in Harmony) et 15 (« La Mort en marche », The Girl Who Was Death).

Le dernier épisode, là où tout se fracture, quand Numéro 6 fait sa révolution, est diffusé le 12 mai 1968.
Mais on a bien pensé en amont à renommer l’épisode 6, The General, qui aurait pu être interprété en regard de l’actualité, avec un titre plus acceptable : Le Cerveau.

On ôta aussi les images où le Rôdeur avale ses victimes, celles de gifles et d’une tentative de suicide. A-t-on pensé que l’autorité du Général, la violence et la mort allaient de pair ? Visiblement oui [1].

Les deux trajectoires, celle de PMG et celle mon père, se séparent, comme les lignes sinueuses d’ADN qui s’écartent et se retrouvent.
Maryse Hache parlait d’entrelacis, et c’est ce mot, son mot qui me vient quand je pense à ce genre de courbes (à jamais, que ce soit sur un dépliant médical ou dans les bras fins d’une glycine qui pousse sur son treillis).

Notre cuisine est si petite qu’on doit prendre les repas dans la salle à manger.
On met la nappe sur la table de couleur acajou (du plaqué) recouverte d’une immense vitre qui protège son bois.
Et bien sûr il arrive que le verre se fêle.
Et bien sûr c’est un drame (mais chaque repas est un drame).
Comme dans les vieilles publicités, nous avons nos places respectives, immuables, pour que chacun puisse voir l’écran de la télé.
Mon frère veut laisser pousser ses cheveux.
Il écoute Revolver.
Il a un solex.
Il a dix-sept ans.
Mon père le gifle : des cheveux longs ? jamais.
J’apprends à écrire les V majuscules à la plume.
J’ai une coupe au bol et un creux perpétuel dans la dernière phalange du majeur droit, toujours violet, à cause du porte-plume trempé dans l’encre, même lorsqu’il n’y a pas classe.
J’ai mal au ventre tous les matins.
Mon frère part dans sa chambre.
Here, There and Everywhere.
J’ai le droit de regarder Nicolas et Pimprenelle [2], et puis au lit.
Le Journal ("Télé Soir") est obligatoire.

"Le 6 mai, jour des premières barricades, Yves Mourousi mène une très longue interview du ministre de l’Éducation nationale Alain Peyrefitte, alors que de très brèves images des manifestations sont présentées : des policiers, matraques au poing, et des véhicules à canon à eau poursuivent les manifestants qui essayent de se protéger ; barricades et voitures brûlent."

Je me souviens de la peur.
Ma mère débarrasse la table, fébrile.
Mon père fixe l’écran.
Je crois que c’est très inquiétant ces feux et ces cheveux trop longs.
Mais j’ai confiance.
Il y aura bien un homme fort, aussi fort que mon père, pour tout remettre en ordre [3], et une femme aussi respectable que ma mère lui amènera son café et puis repartira, torchon et tablier, pour le laisser se reposer de tout ce qu’il a en charge.

sommaire
ABC.PMG


[1le doublage sera entièrement revu pour que le mot « Général » ne soit pas prononcé, une censure qui ne sera levée qu’après la mort du Général de Gaulle.

[2Bonne nuit les petits, saison deux, et je trouve Oscar insupportable.

[3enfant, on est persuadé que l’ordre est une qualité.

Un message, un commentaire ?

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.