TENTATIVES

« la vie ça éparpille des fois / ça chélidoine et copeaux / ça bleuit ça noisette » [Maryse Hache / porte mangée 32]

ABC | PMG

Numéro

lundi 1er janvier 2024, par C Jeanney

ABC | PMG
accompagne
Lotus Seven


Bien sûr l’acteur est un numéro (un, deux, six) [1]
Et il fait son numéro.
Il ne fait qu’imiter la vérité.
Comment avoir l’air « vrai » devant une caméra ?
PGM est intense.
Pour lui la vérité passe par une certaine intensité.
Et, pour être intense, il faut être économe [2].

Les numéros de téléphone du Village sont restreints à son seul périmètre.
La première fois que le prisonnier veut téléphoner — à Londres sûrement, ailleurs, loin du Village, autre part — , la standardiste lui demande "Quel est votre numéro ?", et comme il ne sait pas quoi répondre, car on ne lui a pas encore dit qu’il était Numéro 6, elle refuse : "Pas de numéro, pas d’appels."

Communiquer, c’est d’abord être répertorié.
La loi décide ainsi.
Pas de numéro, pas d’appels.
Quelqu’un a décidé ainsi.
Sans doute le Numéro 2.
C’est compliqué, il change sans cesse, le Numéro 2 est toujours différent [3].
Et ces Numéros 2 changent sans cesse sans qu’on explique pourquoi [4].
Numéro 6 ne change pas (PMG).
Numéro 1 est volatile (qui est-il ?).
Les Numéros 3, 4 ou 72 sont un peu pâlots, un peu indécis, un peu dans l’ombre, un peu interchangeables, un peu indistincts.

Numéroter n’est pas une affaire anodine.
Hiérarchise d’abord. Comptabilise d’abord.
Indique les rapports de force — combien de divisions ?
Assigne.
Oblige.
Obéit.
Les mots, c’est différent ("Maintenant, il ne reste plus que les mots du partenaire et les siens. Ça semble soudainement véridique. Soudain, on écoute.")
J’ai toujours pensé que véridique, vrai et vivant faisaient partie de la même famille de mots, qu’ils partageaient la même étymologie. Je suis quelqu’un de simple.

On connait mal ce qui pousse le Numéro 2, les Numéros 2, à agir.
Ce sont des employés zélés.
Ils assurent le job.
Faire parler PMG.
Faire en sorte que PMG leur donne des renseignements (We Want Informations !  [5]
Ils ont carte blanche.
Le chef donne la direction.
L’intendance suit.
Les numéros 2 inventent les stratégies pour y arriver.
C’est ce qu’on appelle du management toxique [6].
Les numéros 2 se démènent pour être inventifs et particulièrement inhumains.
Le chef ne sera pas tenu responsable des dérives.
Car ce sont des dérives individuelles vous comprenez ?
Les suicides des employés sur leurs lieux de travail sont des drames individuels, qui n’ont rien à voir avec l’organisation du Village, la saveur du jour est fraise, la saveur du jour est vanille, la saveur du jour est sang frais, la saveur du jour est corde au cou.

PMG se met à crier : "Je ne suis pas un numéro, je suis un homme libre !"
Et il lève le poing sur la plage [7].

sommaire
ABC.PMG


[1dans le Village où le Prisonnier est enfermé, personne ne possède plus de nom. Tout le monde est numéroté. Privé de son histoire propre. De son identité. Le numéro 1 est, semble-t-il, le grand ordonnateur. PMG est le numéro 6. Celui qui refuse d’être pressé, fiché, estampillé, marqué, démarqué ou numéroté.

[2Peter Falk : « Parlons de Patrick en tant que réalisateur. Cette partie de la mise en scène où le réalisateur aide un acteur, par opposition à la partie où il conçoit les plans, est un art particulier. Il y a très peu de réalisateurs qui savent quoi dire à un acteur. Il y a le danger que ce qu’ils disent fasse plus de mal que de bien. Que ce soit si évident – ou si obscur – que cela irrite l’acteur. Ce qui me reste à l’esprit, c’est un moment où Patrick s’est révélé très utile. J’avais une scène à tourner. Ce n’était pas très bon. Je l’ai refaite. Toujours pas bon. Et il a dit : "Je vais te dire quoi faire." J’ai demandé, "Quoi ?" Il a dit : "Mets tes mains dans tes poches pour jouer cette la scène." Cette simple proposition a tout transformé. Pourquoi ? C’était tellement juste, parce qu’on utilise les gestes des mains comme de la ponctuation, pour appuyer de façon théâtrale, afin de rendre ce qu’on dit plus intéressant. Et voilà ce qui se passe : on cesse de penser. On cesse d’écouter. On se déconnecte de ce qu’on entend ou de ce que l’on dit. On est trop occupé à être intéressant. En mettant les mains dans les poches, on enlève cette béquille. Maintenant, il ne reste plus que les mots du partenaire et les siens. Ça semble soudainement "véridique". Soudain, on écoute. On s’éloigne du jeu d’acteur bidon. Patrick était assez intelligent pour trouver en une phrase ce qui pouvait renverser la situation « Let’s talk about Patrick as a director. That part of directing where the director helps an actor, as opposed to the part where he conceives of the shots, is a particular art. There are very few directors who know what to say to an actor. There is the danger that what they say does more harm than good. There is the danger that what they say is so obvious — or so obscure — that it irritates the actor. What remains vivid for me is the time when Patrick was very helpful. I did one particular scene. It wasn’t very good. I did it again. It wasn’t very good. And he said, "I’ll tell you what you should do." I asked, "What ?" He said, "Put your hands in your pockets and do the scene." Now that simple direction turned that scene around. Why ? It was so helpful because you are using your hands as punctuation, as theatrical gestures in order to make what you are doing more interesting. What you have done is this : you have stopped thinking. You have stopped listening. And you are no longer connected to what you hear or what you say. You’re too busy being interesting. When you put your hands in your pockets, you take that crutch away. Now you are left with nothing but the words the other actor is saying, and the words you are going to say to him. And you suddenly sound "realer." You suddenly are listening. There is less phony-baloney acting. Patrick was smart enough to pinpoint in a single sentence what would turn that scene around (extrait de From the Desk of Peter Falk, 1998, article en ligne de Barbara Pruett). »

[3Liste complète par épisode des acteurs ayant interprété le Numéro 2 :
Guy Doleman puis George Baker (Arrival)
Leo McKern (The Chimes of Big Ben, Once Upon a Time et Fall Out)
Colin Gordon (A, B and C)
Eric Portman puis Rachel Herbert (en) (Free for All)
Anton Rodgers (en) (The Schizoid Man)
Colin Gordon (The General)
Georgina Cookson (en) (Many Happy Returns)
Mary Morris (Dance of the Dead)
Peter Wyngarde (Checkmate)
Patrick Cargill (Hammer into Anvil)
Derren Nesbitt et Andre Van Gyseghem (It’s Your Funeral)
John Sharp (crédité John Sharpe) (A Change of Mind)
Clifford Evans (en) (Do Not Forsake Me Oh My Darling)
David Bauer (en) (Living in Harmony)
Kenneth Griffith (The Girl Who Was Death)

[4ce qui est la forme achevée d’une dictature : s’exercer sans raisons. Arbitrairement.

[5dialogue : N° 6 : "Where I am ?" (Où suis-je ?)
N° 2 : "In the Village." (Au Village)
N° 6 : "What do you want ?" (Qu’est-ce que vous voulez ?)
N° 2 : "Informations." (Des renseignements)
N° 6 : "In which camp are you ?" (Dans quel camp êtes-vous ?)
N° 2 : "You will learn it when time will come ... We need information, information, information." (Vous le saurez en temps utile... Nous voulons des renseignements, des renseignements, des renseignements.)
N° 6 : "You will get none !" (Vous n’en aurez aucun !)
N° 2 : "You will talk whether you want or not." (Vous parlerez, que vous le vouliez ou non.)
N° 6 : "Who are you ?" (Qui êtes-vous ?)
N° 2 : "I am the new Number Two." (Je suis le Numéro 2.)
N° 6 : "Who is Number One ?" (Qui est le Numéro 1 ?)
N° 2 : "You are Number Six." (Vous êtes le Numéro 6.)
N° 6 : "I am not a number, I am a free man !" (Je ne suis pas un numéro, je suis un homme libre !).

Et ici vient toute l’ambiguïté de "Who is Number One ?" "You are Number Six.", car il suffit d’ajouter une virgule, c’est-à-dire une seconde de respiration avec un "You are, Number Six", (Qui est le Numéro 1 ? C’est vous, Numéro 6.) pour que la résolution de l’énigme apparaisse dès le début de cette histoire.

[6enfin, l’adjectif n’est pas indispensable. Du management, donc.

[7Rectificatif : ce n’est pas lui qui lève le poing, c’est sa doublure, car le jour du tournage PMG s’est foulé la cheville. Même si on ne le voit pas à l’écran, ils sont donc au moins deux à lever le poing.

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