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« la vie ça éparpille des fois / ça chélidoine et copeaux / ça bleuit ça noisette » [Maryse Hache / porte mangée 32]

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journalier 27 03 15 / récurrent

vendredi 27 mars 2015, par C Jeanney


 Deux merles le long d’une diagonale invisible tracée au sol. Merles identiques, têtes tournées semblablement selon une autre diagonale dans l’air. Photocopies de merles copiés-collés dans l’herbe, corps noirs doublés et reproduits. Becs du même orange, pattes gris foncé à l’écartement pareillement placé le long d’une autre diagonale pelouse. Le jardin joue aux sept erreurs, il m’offre une célébration de la géométrie et j’ai perdu, merles partis, d’un vol, le même, et pas certaine de pouvoir rejouer un jour.
 Les mots du récurrent reviennent, je veux effacer les répétitions, c’est vrai, ça nettoierait, ça fait brouillon un seul mot répété tant de fois. Le récurrent, ça ne suffit pas de vouloir s’en passer, vouloir le dépasser. Il faut entendre : ces jours-ci c’est "tuyau" et "canalisation" redits, il y a cette grande bouche ronde dans la haie, le plombier lui a soulevé la tête, une couronne de ciment. Sous elle une bouche nue s’enfonce profond du sol au travers de la terre. Il a coupé de petites branches pour y avoir accès, elles restent là, maintenant calmes, elles dessèchent. Sa lampe braquée pour éclairer en bas, de l’autre bras il a remonté une plaque de métal carrée, angle coupé, ça qui coinçait, ça qui bouchait la fuite de l’horizon.
Les canalisations vont bien tranquilles, leur chemin sous les routes organisé. On sépare l’eau de pluie et l’eau de la lessive. L’autobiographie part dans un trou et le piano de Barenboim un autre, c’est dommage.
 Mes plaques de métal ne font plus leur travail, ne séparent plus, ou séparent mal, ou se rendent compte qu’elles devraient arrêter de séparer. C’est ce qu’il a vu sous la terre avec sa lampe, ce qu’il ne m’a pas dit directement, mais j’ai compris : tu peux donner des titres et des destinations, les canalisations répètent leur infini retour d’être incomplètes, ou obsolètes. Les ruines du théâtre grec nourrissent le chant, maintenant, l’hier parle en niant ouvertement les dires cimentés de droiture. Aujourd’hui parle hier, si ce n’est pas la même voix c’est que les détails font écran, c’est la même voie.
 Le visage de Kissin se déforme, est déformé, paupières qui vont séparément avec leurs gestes seuls, bouche tournée vers dedans la parole. Suite d’accords et ses yeux ferment exactement le temps qu’ils durent, se rouvrent le temps exact et vivant de la note en son trajet interne. Crispation relâchement, l’ensemble brusqué, inassouvi. En transparence de lui une bouche traverse la terre. Je lis le Journal de Virginia, je vois ses doigts sur les pistons, les cuivres au Tableau d’une exposition, ça tonne beau, ça monte silence, reprise tension élargissement, volume poussé inclinaison, oh comme ça défile devant soi on pourrait voir son corps marcher, notes retombantes qui viennent vibrer l’éclatement. Et le soleil se lève, hymne à lui, les corbeaux de Michaux envolés sur ce ciel, il n’y a qu’un seul canal.
(toujours finir par l’endroit où la route se resserre)

(pendant ce temps)

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(site sous licence Creative Commons BY-NC-SA)

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