TENTATIVES

« la vie ça éparpille des fois / ça chélidoine et copeaux / ça bleuit ça noisette » [Maryse Hache / porte mangée 32]

FEUILLETONNAGES

L’ANNÉE DES JEUX (1)

jeudi 4 avril 2024, par C Jeanney

(paroles prises au vol, taillées et réassemblées)

*

Merci d’être avec nous félicitations.
Merci pour vos félicitations.
Je vous ai vu tiquer.
Ça va arriver vite.
Déjà en tête cette échéance.
Le plus grand rêve de votre vie. En plus, en plus, et en plus, devant un public français.
Mes premiers jeux.
Voilà.

Après tant d’années.
L’eau libre.
Finalement ce Graal.

Une éclosion tardive.

Ça fait quand même deux ans. Petit à petit.
Constamment le top dix.

On était quatre-vingts au départ. J’ai essayé de me détacher.
Surtout ici.
On peut vite se laisser surmonter.
Moi j’ai une course progressive.
En essayant d’aller le plus lucide possible.

Des appréhensions ? La qualité de l’eau ? Des inquiétudes ? On parle de bactéries d’origine fécale.
Non je pense pas.
On est immunisé.
En Argentine j’ai été très très malade après. Mais c’est des efforts.
On est rassuré.

Mauvaise nouvelle.
Un changement en vingt-quatre heures. Un côté aléatoire de la qualité de l’eau.
Oui. Mais la nature du sport c’est de s’adapter.
Il y a des divergences dans les résultats des analyses en laboratoire.
C’est un gros travail pour rechercher les causes des divergences dans les résultats d’analyse en laboratoire.
L’impact. Significatif.

Pas de plan B.
Pas d’alternative.
Pour le dire simplement : soit on nage dans l’eau, soit on nage dans l’eau.
On a pu nager hier. Aujourd’hui ce ne sera pas le cas. Demain on nagera.
On a des indications. On a des informations dans la nuit pour faire le retour sur les analyses de l’eau. On se lève très tôt vous savez. Très tôt pour savoir si on aura ce privilège. Car c’est un privilège de nager dans cette eau.
Contaminée oui.
Tout dépend.

*

On est avec vous.
Les yeux du monde entier.
Fixés ici.
Du jamais vu.

Les athlètes du monde entier sous les yeux du monde entier défilant sur des péniches.
Les premiers jeux.
Spectaculaires. Sur des sites spectaculaires. Iconiques. Comme dans les jardins du Château, l’équitation.

La cérémonie dans une ville.
Une ville qui est une ville.
Une ville qui n’est pas un stade.

On aura tout le long du parcours des JEUX de lumière.
Pour mettre en valeur. Ça va bien mettre en valeur.
On remet l’artère principale au centre.

Un cortège. Pour l’instant aussi silencieux qu’important.
Plusieurs options pour y assister, depuis les places payantes sur les quais inférieurs et les ponts de quatre-vingt-dix à deux mille sept cents euros, et sur les quais supérieurs ont pourra tenter de voir gratuitement à condition d’être tiré au sort.

Aucun détail n’est laissé au hasard. La vitesse des bateaux.
La distance entre les embarcations. Jamais expérimenté auparavant. Par le passé.
Un phénomène récent.
On ne comprend pas tout.

Tous les yeux rivés sur l’Histoire Capitale de Paris donc de la France.
C’est le spectacle d’une vie.
C’est le plus gros spectacle du monde.
La pression est noyée par le travail.
Pour moi artistiquement c’est le décor de la plus belle ville du monde avec cette seine comme scène, ce cadre dans lequel je vais composer.
En règle générale c’est une très grande idée.
Ce qui est pertinent c’est que l’Histoire de France est là, la Grande Histoire de Paris la Grande Histoire de la France et aussi la petite histoire avec des anecdotes.

Une conception plurielle du vivre ensemble avec une ville qui vit sous l’influence du monde entier, mais, tout autant, influence le monde entier.
Aussi.
Un symbole magnifié.

Le grand point d’interrogation c’est la question des transports. Ce matin encore difficile de l’imaginer.
L’idée d’un confinement s’est propagée hyper vite.
Tout le monde a paniqué.
Le plan transport ne pourra fonctionner que si tous les autres voyageurs sont dissuadés ou chez eux. Les bus auront du mal à circuler à cause des véhicules officiels et des véhicules de secours.
La sécurité.
Un défi sécuritaire immense.
Allier l’art et le sport, le muscle à l’esprit, est le fondement des JEUX bienvenue à tous.

*

Nous allons effectivement recruter.
Nouveaux collaborateurs cinq cents conducteurs de bus pour assister à cet événement unique.
Des taxis-volants bonjour.
Deux personnes à chaque fois dix-huit hélices neuf batteries vol automatisé cent-dix kilomètres à l’heure le projet c’est de ne pas avoir de pilote.
Abordable cent euros par trajet du nord au sud vingt kilomètres.
Quelles sont les chances que ces taxis-volants volent ?
Grandes. À partir du moment où ces taxis-volants intéressent Dubaï.

*

Décryptons quelques mouvements.
La beauté d’un geste maîtrisé.
La vrille, un mouvement en rotation.
C’est l’une des figures les plus complexes.
On vous livre quelques secrets.

Je vais fouetter ma jambe droite le plus proche du sol, tout en tirant ma jambe gauche vers moi, pour passer de la main droite à la main gauche.
C’est une question de technique surtout.

Un bon équilibre
Et un peu de forces dans les bras.
Une performance à la fois physique et technique.

Je pose bien mes deux mains devant.
Ensuite je vais décaler les mains la tête et ensuite le corps.
On est dans une forme d’exhibition.
C’est des questions-réponses.

Et c’est celui qui a le débat le plus carré qui gagne.
Une histoire de feeling.

On a vu des gens faire des choses complètement incompréhensibles.
On a la reconnaissance et aussi le défi immense, celui de pérenniser la discipline bien au-delà.
On invite le grand public à se dépasser.

C’est phénoménal, incroyable.
Les seuils de saturation seront dépassés.
Soixante mille personnes par heure on est très confiants volume tarifaire.

Qui dit accueillir du public dit déchet.
Et qui dit déchet dit éboueur.
On est un métier où on marche beaucoup.
Je vais te dire.
Des tendinites, des traumas.
Des gestes répétitifs.
Je vais te montrer un geste.
On prend la pelle comme ça et on bloque avec le coude.
Et ça fait un genre de bascule.
On bascule hop, et on met.
Et ça c’est répétitif.
C’est déjà pénible.
Ça va donner encore plus de travail.
Mais plus de monde pour le faire on sait pas.
C’est flou on sait pas où on va.

Des négociations sont actuellement en cours.

*

Pour les champions une bonne alimentation.
La volaille aux écrevisses avec nos petites langoustines.
J’ai une pintade qu’on a cuite à basse température donc encore bien rosée pour les athlètes. C’est un gros challenge.
On représente notre pays.
La France. Ce savoir-faire. Ce savoir-être.
Et on va avoir des sportifs à restaurer vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
Du petit-déjeuner au dîner.
Pour leur permettre d’accomplir au mieux les meilleures performances.

Être au meilleur de leur forme c’est important.
L’idée c’est le iodée, le salin, avec une salinité naturelle.
Le chef pense à des recettes pour les JEUX depuis deux ans.
L’alimentation est un facteur important.
Et la perspective c’est un virgule trois millions de repas merci de votre attention.

*

Un Everest en terme d’organisation. Pharaonique. Hors norme. Vingt mille tonnes.
Quatre-cents à cinq-cents compagnons qui travaillent sur le site six jours sur sept une immense passerelle en acier sur quarante-deux voies ferrées une prouesse avec plein de détails techniques on va la riper verticalement pour venir se poser sur la gare.
Le plus dur c’est de gérer.
Trente mètres sous terre. Une cathédrale de béton. Sur le point d’aboutir. Accuse un très lourd retard.
Alors on a regardé les chiffres.
Pourquoi ce ne sera pas terminé ?
La première réponse c’est que ce chantier n’a pas d’équivalent.
Et par ailleurs il y a effectivement eu un certain nombre d’aléas sur divers sujets.
La France a fait preuve de beaucoup d’optimisme.
Il faudra s’armer de patience.

Et il y a les sites insalubres.
Ce chauffeur de car de touristes hollandais en a des hauts le cœur.
Côté investissement on mobilise plusieurs programmateurs qui modélisent tous les déplacements à venir c’est l’équivalent de gérer cinquante événements par jour et cinquante événements différents. S’il y a une panne on se prépare.
En appuyant sur un seul bouton on passe au plan B.
On passe en revue tous les scénarios.

Là c’est une vitrine.
C’est une image de Paris c’est une image de la France et vous voyez bien que je ne peux pas accéder on a promis un ascenseur il n’y a pas d’ascenseur et comment je fais je sors de mon fauteuil et je marche ?
Des travaux d’aménagement délicats à réaliser.

Moins ambitieux que les promesses faites par Paris lors de sa candidature.
On est prêts.
On sera prêts.
On est prêts.
On ne sera pas prêts.
De tels propos sont honteux on est prêts.

Périmètre de sécurité périmètre de circulation justifications de déplacements pour un rendez-vous médical.

*

Bonjour vous êtes l’un des médecins sélectionné pour encadrer le Village.
Comment concrètement ça va se passer ?
Si un sportif a un problème concrètement on va trouver une solution pour ne pas l’envoyer aux urgences où il risque d’y avoir un peu de monde.
Public privé autour de neuf milliards mais la cour des comptes n’arrive pas à dire combien coûtent les JEUX.
Village relogements le BTP la construction le prix du mètre carré a doublé sérieusement comment vivre ?

*

Onze mille relayeurs qui vont avoir cette chance de porter cette belle torche.
Entièrement champagne.
Pas trop dorée et en même temps qui reste chaude. On a presque l’impression que l’acier est liquide en partie basse comme s’il s’extrayait directement de la seine. Un équilibre parfait entre le haut et le bas. On est vraiment parti de cette idée de parité cette sorte d’idée d’égalité parfaite voilà.

.

(site sous licence Creative Commons BY-NC-SA)</

Messages

  • mise en évidence savoureuse de l’absurdité

    merci les petites rages devant ce verbiage et ce qu’il recouvre se noient dans les siurires et même le rire

  • Quelle merveille, ce texte ! Un régal. Merci tant, Christine. Ta créativité n’a pas de limites.

  • Belle créativité sur un événement si risqué Belle réalité optimiste
    Bravo pour ce beau texte sans concession de l’absurde réalité
    Il fallait oser le traduire en phrases simplesAA

  • Qui dit accueillir du public dit déchet.

    et puis :

    Et il y a les sites insalubres.

    et puis
    les gens seront là - ils viendront - on les accueillera - il y a des plans, A B C et autres - on verra -

    on verra - l’histoire ne bégaye jamais comme on dit jamais - mais Berlin ce n’était que quinze ans avant ma naissance... -on accueille ou on n’accueille pas les biélorusses les russes ?

    on avance
    on continue et on se baignera dans la Seine

    on suivra

  • On sent la dérision dans ce texte qui épèle le réel contemporain. La folie de cet événement lucratif qui utilise les athlètes comme des figurant.e.s hyper conditionné.e.s à la gloriole éphémère. J’aime de moins en moins ces organisations mégalomaniaques qui coûtent la peau des gens qui ne peuvent s’offrir le privilège de voir suer leurs compatriotes et ceux qui viennent d’autres nations. Bien sûr le sport c’est beau, c’est sain nous dit-on, jusqu’à ce qu’on nous dise le contraire , à cause du dopage et de l’excès d’exercices qui mène aux blessures. La compétition de haut niveau draine de l’argent , les athlètes et les fédérations qui les sponsorisent et les stressent sont des vaches à lait qu’on presse comme des citrons. A l’échelle du nombre d’abandons dans les filières élitistes, c’est un vrai carnage. Courir après une médaille, c’est courir après du vent. Trois places sur un podium mondial, pas si mondial que cela, il faut être "éligible" selon le sournois mot à la mode. In ou Off, même pas un purgatoire...Vous l’aurez compris, les jeux olympiques m’ennuient et d’autant plus lorsque j’imagine la paranoïa qu’ils distillent déjà dans nos esprits tuméfiés par l’état catastrophique de la planète... Et la dette de la France qui justifie qu’on laisse crever des êtres humains dans la rue et aux portes des hôpitaux... Décidément, non ! Les jeux olympiques ne sont pas anodins , les jeux du cirque à l’antique ne sont pas loin. Et si c’est l’opium du peuple autant investir dans le doliprane...

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