TENTATIVES

« la vie ça éparpille des fois / ça chélidoine et copeaux / ça bleuit ça noisette » [Maryse Hache / porte mangée 32]

JOURNAL DE TRADUCTION DES VAGUES #WOOLF

journal de bord des Vagues -108 ["une jument piquetée de gris"]

jeudi 7 septembre 2023, par C Jeanney

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(journal de bord de ma traduction de
The Waves de V Woolf)

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(Percival vient de s’embarquer pour l’Inde)

 le passage original

‘I see India,’ said Bernard. ‘I see the low, long shore ; I see the tortuous lanes of stamped mud that lead in and out among ramshackle pagodas ; I see the gilt and crenellated buildings which have an air of fragility and decay as if they were temporarily run up buildings in some Oriental exhibition. I see a pair of bullocks who drag a low cart along the sun-baked road. The cart sways incompetently from side to side. Now one wheel sticks in the rut, and at once innumerable natives in loin-cloths swarm round it, chattering excitedly. But they do nothing. Time seems endless, ambition vain. Over all broods a sense of the uselessness of human exertion. There are strange sour smells. An old man in a ditch continues to chew betel and to contemplate his navel. But now, behold, Percival advances ; Percival rides a flea-bitten mare, and wears a sun-helmet. By applying the standards of the West, by using the violent language that is natural to him, the bullock-cart is righted in less than five minutes. The Oriental problem is solved. He rides on ; the multitude cluster round him, regarding him as if he were — what indeed he is — a God.’



c’est la charge, la mission de Bernard, de montrer
comme un castelet qu’il installe, avec ses marionnettes
ce ne peut qu’être une ode, à la gloire de
on imagine, quant à nous, les autres (Rhoda, Jinny, Louis, Neville, Susan), les yeux écarquillés
hypnotisés
le décor est planté
c’est une Inde magique, une Inde avec cour des miracles et palais légendaires
le héros s’avance
il traverse l’épreuve
magnifique

- quelques difficultés pour que cela soit fluide, simple, précis
c’est comme un album qu’on montre à des enfants
et c’est l’adulte qui raconte
d’ailleurs il se permet une plaisanterie
(The Oriental problem is solved) moquant la fierté de l’Empire Britannique
(tout à fait le genre de remarque au deuxième degré qu’on peut avoir dans ces cas-là)

- un souci que je n’ai pas vu venir, celui de la monture de Percival
une flea-bitten mare
de nature insécure je vais regarder ce que les traductions précédentes proposent :
chez Michel Cusin : "une jument gris mouchetée"
chez Cécile Wajbrot : "une jument piquée de puces"
chez Marguerite Yourcenar : "une jument harcelée par les mouches"

(je regarde toujours dans cet ordre, c’est dans cet ordre que sont empilées les traductions sur mon bureau, ouvertes à la bonne page
d’abord Michel Cusin, j’ai grande confiance en lui
ensuite Cécile Wajbrot, j’aime ses prises de risque et sa tonicité
et enfin Marguerite Yourcenar) (très honnêtement, juste pour le fun)

intriguée, je fais une recherche d’images avec flea-bitten mare
c’est très précis : la robe d’un cheval flea-bitten est blanche, piquetée de minuscules taches grises
je suis un peu déçue de ne pas avoir à utiliser un mot comme pie, ou bai, ou palomino, isabelle ou noir pangaré (mais bon, je vais au plus simple)


 ma proposition

« Je vois l’Inde, dit Bernard. Je vois ses rivages bas, étirés ; je vois la boue piétinée de ruelles tortueuses qui mènent ça et là à des pagodes délabrées ; je vois des bâtiments dorés, crénelés, je vois leur air fragile, en décomposition, comme s’ils n’étaient que temporaires, bâtis seulement le temps d’une exposition orientale. Je vois un couple de bœufs tirer une charrette sur une route brûlante de soleil. La charrette brinquebale maladroitement. Soudain, une de ses roues se coince dans une ornière, et d’innombrables indigènes en pagne s’agglutinent autour d’elle, discutant avec animation. Mais ils ne font rien. Le temps paraît interminable et toute ambition semble vaine. L’idée que l’effort humain est stérile plane sur tous. Il monte d’étranges odeurs aigres. Un vieil homme dans un fossé mâche du bétel tout en observant son nombril. Mais maintenant, regardez, voilà Percival qui s’avance ; Percival chevauche une jument piquetée de gris, il porte un casque colonial. Appliquant les principes occidentaux, et usant du langage violent qui lui est naturel, la charrette se trouve redressée en moins de cinq minutes. La question de l’Orient est réglée. Lui continue sa route ; la multitude en grappe l’entoure, en le considérant comme – et c’est ce qu’il est – un dieu. »

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( work in progress )

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(site sous licence Creative Commons BY-NC-SA)</

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