D comme danser
lundi 1er janvier 2024, par
ABC | PMG
accompagne
Lotus Seven
Durant les dernières minutes du dernier épisode, Fall out (en français « Le Dénouement »), PMG se retrouve dans le centre-ville de Londres.
Un policier s’approche.
On n’entend pas ce qu’ils se disent, il y a peut-être interrogatoire, c’est ce que l’on suppose.
Sans connaître les questions posées ni les réponses, on se fie à la vue, notre vue incertaine, car le duo se tient tout au fond de l’image, un duo de taille réduite, à l’arrière-plan.
Il est difficile de percevoir les expressions sur les visages de l’interrogeant, de l’interrogé. Progressivement, toujours à l’arrière-plan, PMG se met à danser.
Une danse qui n’est pas celle du charme ou de la séduction, mais la danse de la folie régénératrice, la danse de la rébellion, de la moquerie, de la provocation.
PMG danse devant le palais de Westminster, chambre des Communes, chambre des Lords.
PMG s’est débarrassé des juges pendant les minutes précédentes.
Pour s’échapper, il a emprunté des escaliers en colimaçons qu’il a montés pour trouver la lumière, puis descendus pour fouiller les entrailles du sens, le sens à débusquer au plus profond de soi, derrière les masques (derrière le masque noir et blanc, derrière le masque de singe, derrière le masque du visage de PMG [1] , etc.).
PMG transforme la marche en danse.
Cette scène saugrenue ouvre un champ des possibles.
Une scène politique, qui pourrait affronter par anticipation le futur There Is No Alternative [2].
La danse du Prisonnier est le grain de sable dans la machinerie, une danse de la victoire sur le réel triste, le réel préformaté [3].
Une danse des sept voiles [4].
Ce dévoilement ne se limite pas à une poignée de secondes d’images de danse, mais dure, le temps des dix-sept épisodes – sous une image s’en nichent d’autres.
Même tour de prestidigitation avec les sons : on assiste (toujours dans l’épisode Le Dénouement) à une scène de guerre, une bataille entre l’ordre et la saine anarchie, mais nous n’entendons ni coups de feu ni le bruit des coups de poing.
À leur place, All You Need Is Love des Beatles [5].
Ce hors champ sonore fait advenir d’autres messages dans notre esprit [6].
C’est caustique, dans tous les sens du terme [7], et c’est peut-être ce qui rend Fall out inacceptable pour une majorité du public de l’époque.
L’idée qu’il faut faire table rase.
Démolir.
Puis reconstruire autrement.
Penser autrement [8].
Au moins essayer [9].
[1] une scène dite "culte", car le moment enfin révélé du visage du Numéro 1, c’est-à-dire le Mal : le public s’attend à voir un visage, enfin, après tant et tant de recherches/épisodes, s’attend à découvrir le visage unique du Méchant (habituel), mais la scénographie imaginée par PGM dévoile, sous une capuche blanche de type Ku Klux Klan, un masque noir et blanc : et sous ce masque un masque de singe : et sous ce masque le visage de PMG lui-même ; l’ennemi qui est "en soi".
[2] ou TINA, formule associée à Margaret Thatcher.
[3] « Je ne veux pas être pressé, fiché, estampillé, marqué, démarqué ou numéroté » dit le prisonnier.
[4] en anglais, l’expression « faire la danse des sept voiles » désigne la révélation progressive d’une information, où l’on va d’étape en étape (une expression souvent utilisée dans les romans d’espionnage de John le Carré).
[5] Mon père est interloqué.
Puis il conclue par "les jeunes sont dangereux" — musique de sauvages, chevelures de sauvages, vêtements de sauvages, autant de critères qui, à l’âge que j’ai à l’époque et encore maintenant, m’échappent.
[6] une idée « proprement cinématographique » pour Deleuze, qu’il qualifie de « récente » en 1987 : « la disjonction
du visuel et du sonore. »
[7] selon le Larousse « acerbe, mordant, dans la critique, la satire » et « qui attaque, qui corrode les tissus ».
[8] Nietzsche voit la danse comme la métaphore obligée de la pensée (Zarathoustra dit qu’il a « des pieds de danseur enragé »).
[9] car les dernières secondes de la série reviennent au commencement, il est peut-être déjà trop tard.