F comme fuir, fans et foudre
lundi 1er janvier 2024, par
ABC | PMG
accompagne
Lotus Seven
Fin des années soixante.
La carrière de PMG est au plus haut.
Lew Grade parle de lui comme d’une star [1], et lui laisse les mains libres pour créer Le Prisonnier, car il est sans nul doute à cette époque l’acteur de Grande-Bretagne le plus connu et le mieux payé.
Par la suite, après la cacophonie, le scandale, la polémique explosive qui accompagne le dernier épisode de la série, ses rôles se feront plus rares [2].
PMG restera éternellement Le Prisonnier.
Lui qui, en tant que Numéro Six, veut échapper à toute assignation, est piégé par ce succès.
La réussite de sa série, dont le nerf central est la fuite, l’enferme [3].
On imagine avec quelle ironie il prend le rôle d’un directeur de centre pénitentiaire dans L’Évadé d’Alcatraz (1979) dont Clint Eastwood s’échappe.
PMG a fui l’Angleterre après le dernier épisode du Prisonnier.
Il a préféré partir le plus loin possible vers l’ouest.
S’il s’en est approché à nouveau – du Royaume Uni –, c’est bien plus tard [4] .
À soixante-sept ans, il prend des cours d’équitation avec quinze kilos d’amure sur le dos pour jouer Édouard 1er [5], surnommé Malleus Scottorum (« le Marteau des Écossais »).
Il tourne en Écosse, en Irlande [6].
« Mon personnage n’est pas très gentil, dit-il. Il jette les gens par les fenêtres. »
Sur le champ de bataille, le visage pris dans une cotte de mailles, Édouard 1er constate que les flèches coûtent cher, alors que la mort, elle, est gratuite – une remarque qu’aurait pu faire Numéro 1.
PGM n’est jamais retourné à Portmeirion.
Tous les ans ils se réunissent sur les lieux du tournage.
On appelle ça une "convention".
"Convention", synonyme de "protocole" (déf : Recueil de règles à observer en matière d’étiquette, ce qui doit absolument être respecté).
Les fans se costument comme les figurants ou les rôles principaux.
Ils rejouent la partie d’échec, c’est frendly dit-on dans les haut-parleurs.
Ils agitent les ombrelles multicolores et les pancartes "Vote for Number 6" [7].
Ils se photographient, tenant en main le Rôdeur, cette énorme boule blanche synonyme de mort, synonyme de fin de partie, synonyme d’emprisonnement, synonyme d’asphyxie, puis ils la lancent depuis le balcon, elle rebondit, et tous jouent avec elle, tous se la renvoient comme un ballon de plage. Ils sont tous déguisés comme au carnaval (épisode 8, Danse de mort) et comme dans le carnaval du Village ils choisissent de ne pas choisir leurs costumes, ils prennent les costumes imaginés par d’autres, ils se conforment à ces costumes, exactement ce que dit PMG (cf U comme uniforme) de Dylan et Simon & Garfunkel (« Ils disent qu’ils sont contre l’establishment, mais s’habillent de vêtements qui sont leur propre establishment, leur uniforme. Ils troquent leurs cheveux contre des chapeaux melon. » [8]
Ils applaudissent, ils s’applaudissent. Ils rient.
Ils inaugurent un buste de PMG — PMG n’aurait-il pas détesté ça ?
Cette sorte de reproduction ludique de sa création, ce désarmement de sa création, lui qui désirait "une controverse, des débats, des bagarres, des discussions, des gens en colère, les poings serrés me disant : « Comment osez-vous ? Vous devriez faire des histoires d’agents secrets simples à comprendre. »" (cf & sources)
[1] PMG dit : « I abhor the word "star". It makes the hair on the back of my neck want to curl up. » (J’ai horreur du mot "star". Les cheveux de ma nuque se mettent à friser quand je l’entends.)
[2] il reçoit des menaces. Il raconte qu’on tape sur la porte de chez lui à coups de maillet. Ses filles aussi sont interpellées sur le chemin de l’école. Il est devenu l’homme à abattre, celui qui se moque du monde, qui crache dans la soupe, un dilettante, un bon à rien, un dangereux anarchiste, un homme en qui on ne peut pas avoir confiance, qui ne tient pas parole, qui vous promet un héros aux yeux clairs et vous livre un dingo à la place. Il vit quelques semaines cloîtré avec sa famille, avant de décider de s’exiler.
[3] l’appartement de Numéro 6 à Portmeirion est aujourd’hui un magasin où il est possible d’acheter des tasses, t-shirts, porte-clés, badges, serviettes, chaussettes, stylos, affiches, figurines, sacs, stylos, carnets, magnets pour le frigo à l’effigie du Prisonnier, sa liberté se voyant verrouillée un peu plus à chaque passage en caisse, le condensé de tout ce que PMG haïssait.
[4] en 1991 il joue à Londres le rôle de Georges Bernard Shaw (pacifiste, anticonformiste, partisan du vote des femmes) dans la pièce de Hugh Whitemore, The Best of Friends.
[5] dans Braveheart (1995, réalisé par Mel Gibson).
[6] il semble que pendant, avant, après les prises, il évoque la possibilité de faire du Prisonnier un long métrage, avec Mel Gibson dans le rôle du Numéro Six, mais le projet tourne court.
[7] vues dans l’épisode Liberté pour tous, où il y a une campagne électorale.
[8] (entretien avec Henry Pelham Burn, Pace Magazine, décembre 1969).