I comme invisible
lundi 1er janvier 2024, par
ABC | PMG
accompagne
Lotus Seven
Un documentaire sur Le Prisonnier aurait été produit, créé, réalisé par PMG en réponse au Six Into One qu’il avait trouvé détestable.
Qui l’a vu ?
On ne sait pas.
Ce film est introuvable.
Il n’en reste, selon Chris Rodley, que quelques images de mauvaise qualité, filmées sur l’écran d’une télévision de Portmeirion.
C’est très étrange que les copies de ce film, dont on ne connaît même pas le titre, soient perdues.
Et que les fragments survivants aient emprunté le filtre d’un écran de télé du Village [1].
C’est même assez insensé.
On dirait le script d’un épisode du Prisonnier [2].
On y voit, il paraît, PMG répondre aux questions de son autre fille, Anne, et non pas Catherine, qui – contrairement à Catherine filmée de face dans In My Mind – reste hors champ (invisible).
Nous ne voyons qu’un reste d’images dont personne ne connaît plus l’entièreté, comme les humains voient des ombres s’agiter au fond de la caverne.
Ce n’est plus un film, c’est une allégorie.
Sur les quelques images récupérées, PMG avance sur la plage de Santa Monica.
De son bâton de marche, il dessine dans le sable, et les vagues effacent ses dessins.
Que dessine-t-il ?
Un triangle.
À son sommet, le haut d’un point d’interrogation.
C’est-à-dire un cintre.
PMG sur la plage de Santa Monica dessine des cintres dans le sable.
PMG dessine une structure rigide [3].
Les cintres s’effacent, gommés par les vagues.
Cette scène filmée délibérément par PMG, avec PMG sous le soleil rasant d’une plage de Santa Monica, dessinant des cintres dans le sable, aussitôt effacés, ressemble à une performance d’artiste plasticien, à une installation, Land Art, Arte Povera, mouvement Fluxus, ressemble à bien autre chose qu’à un documentaire sur le créateur de la série Le Prisonnier.
PMG, acteur de théâtre dans la lignée d’un Laurence Olivier, assez classique finalement, trace des symboles indéchiffrables à l’endroit où pop-corn, surfeurs et maillots lycra d’aérobic évoluent sur patins à roulettes.
Il me fait penser à un autre homme dans un film de Jim Jarmusch [4], qui construit un bateau sur le toit d’un immeuble.
Dans le sable : un dessin de cintre. Signe cabalistique de mystérieux ralliement, paupière d’un œil non terminé au sommet d’une pyramide, hiéroglyphe moderne, le haut en forme de point d’interrogation s’ouvre en problème refermé sur ses trois côtés forteresse, donc jamais dévoilé, impénétrable.
Mais il a peut-être choisi le cintre comme la première chose qui lui est venue à l’esprit – Hum, je vais faire quelque chose qui n’aura aucun sens et je vais les observer en train de transpirer pour tenter de trouver une explication.
Amusez-vous, dit-il à la galerie.
Et « si, par chance, vous avez compris, oui, en effet, si par chance vous avez compris quelque chose, alors cela me décevra profondément. Car j’ai fait de mon mieux pour vous embrouiller [5] ».
Invisibles, d’autres images le resteront : PGM offre de l’argent aux journalistes pour que leurs interviews de lui passent à la trappe.
Je ne pense pas que ce soit par humilité ou par discrétion.
Il se dit sans doute, après coup, qu’il n’a pas été à la hauteur.
À la hauteur de qui, ou de quoi ? [6]
[1] l’écran est le symbole même du contrôle et de la censure exercée par Numéro 1.
[2] dans le générique de la série, PMG donne sa lettre de démission, mais on ne sait pas ce qu’elle contient, il est juste inscrit Private, Personal, By hand sur l’enveloppe, ce qui pourrait être le titre de ce documentaire à diffusion si confidentielle.
[3] « être cintré » n’étant pas synonyme de fleurs psychédéliques au parfum beatnik.
[4] Ghost Dog : The Way of the Samurai (1999)
[5] une de ses déclaration, mot pour mot, dans Six Into One.
[6] à quelle hauteur, à quel étage, ce bateau à construire en haut d’un toit ?
