L comme Laurel Canyon et légendes
lundi 1er janvier 2024, par
ABC | PMG
accompagne
Lotus Seven
C’est là, dans une maison inoccupée, que PMG a décidé de répondre aux questions de Chris Rodley devant des caméras.
Une maison vide, sans grand intérêt, murs blancs, étagères en attente, frigo aseptisé — on ne verrait pas l’intérieur sans doute proche du rien — mais pourquoi Laurel Canyon ?
On ne sait pas si c’est parce qu’il aime Our house composé à quelques centaines de mètres de là par Graham Nash et Joni Mitchell, ni s’il est familier de figures légendaires aux destins funestes qui vivent encore sur les goodies achetés par les touristes au Canyon Country Store (Ramón Novarro, Jim Morrisson, etc.).
Ce n’est peut-être pas le plus important.
Vu du ciel, Laurel Canyon n’en finit pas d’être tortueux, abrupt, improbable.
À certains endroits (Mont Olympus, Kirkwood, Lookout Mountain, Stanley Hills, Windam Street, Wonderland Avenue, Laurel Pass) on pourrait tout aussi bien se trouver sur une île, et l’île de Laurel Canyon jouxterait l’île de Mulholland Drive ou celle de Sunset Boulevard, un archipel d’îlots, chacun possédant son église, ses dieux, ses habitants à la marge, sa cosmogonie.
PMG vit près de Los Angeles, près de l’île de Los Angeles, comme il a vécu en Suisse, l’île de Suisse, après s’être échappé – ses filles avaient reçu des menaces à l’école, il ne pouvait plus mettre un pied dehors en Angleterre sans craindre d’être molesté (cf F comme fuir, fans et foudre).
C’est peut-être ce qui explique pourquoi PMG est si discret.
Les photos qui le montrent hors caméra ne sont pas très nombreuses.
Un manque de grain à moudre propice à la fabrication de légendes.
Par exemple celle qui dit que la naissance de PMG a été difficile.
Dramatique même.
Au point que sa mère fit un serment.
Si tous deux survivaient, elle promettait à Dieu de lui offrir son fils en serviteur.
Et elle y a sans doute veillé du mieux possible, jusqu’à ce que ce fils ait dix-sept ans.
Âge où il quitte les briques rouges et les hauts murs centenaires du Ratcliffe College [1].
Il devient éleveur de poulets [2], employé de banque, chauffeur de camion, puis régisseur du Sheffield Repertory Theater [3].
Autre légende : Ron Grainer propose à PMG une musique pour le générique du Prisonnier.
Elle est plutôt de style western et PMG n’est pas très emballé.
On raconte qu’il se met à siffler trois notes, et que c’est à partir de ces notes que Ron Grainer compose le générique définitif.
On dit que, pendant le tournage de Ice Station Zebra [4], le pied de PMG se retrouva coincé dans une pièce inondée.
Le genre de scène reprise dans de multiples fictions, la noyade à laquelle on échappe de justesse, et tout le monde reprend son souffle. Un plongeur lui sauva la vie.
On raconte aussi que si PMG tourna et réalisa quelques épisodes de Columbo, c’est parce qu’il était un ami de Peter Falk.
C’est une légende fausse. À l’origine, ils ne se connaissent pas, Peter Falk ne l’avait jamais vu jouer [5].
Légende rebondissante : il n’était pas question d’une boule blanche au départ pour incarner le Rôdeur [6], mais d’un robot monté sur roues, une machine amphibie capable de grimper aux murs.
Conceptualisé, testé, finalisé, livré à Portmeirion, le robot entre dans l’eau pour sa toute première scène.
Il coule devant les caméras.
Ensuite il y a des images d’archives.
Un film amateur montre un appareillage.
Le matériel semble sortir d’un camion de fête foraine : une demi-coque géante, sorte de chou à crème pour Gargantua, avec un gyrophare bleu à son sommet comme une cerise sur la tête d’un baba au rhum.
Cette demi-coque soulevée par plusieurs bras, vient se caler au-dessus d’un kart dans lequel un pilote a pris place.
Les franges tout autour et en bas du chou cachent les roues.
Les déplacements de l’engin sont anarchiques.
Le conducteur ne voit pas où il va.
On a un peu de peine pour lui.
Et envie de rire aussi.
La légende dit qu’à ce moment Bernard Williams, producteur et assistant de PMG, lève les yeux au ciel en signe d’impuissance et de désolation. Au-dessus de sa tête il aperçoit un ballon-sonde lancé par la station météorologique toute proche. Qu’est-ce que c’est que ça ? demande-t-il à PMG. Ce sera ça, le Rôdeur.
On envoie un technicien en acheter un exemplaire, mais cette boule diaphane est si fragile qu’il faudra en utiliser des centaines [7] .
Ça tient à peu de chose la peur panique.
Devant un chou à crème à gyrophare bleu, je n’aurais pas peur.
Le ballon météorologique blanc, mou, palpitant, rebondissant sur les traces de celui qu’il suit aveuglément, cette sorte de pupille sans iris, cet œil mort de cyclope, et le cri sinistre et grinçant qui l’accompagne me fera peur jusqu’au centre des os.
Et je ne saurais pas quoi faire, une fois devenue adulte, avec ma peur d’enfance dans une main et ma curiosité dans l’autre, de ces images de PMG marchant entre deux prises, le Rôdeur bondissant derrière lui, accroché par une ficelle et une épingle à nourrice en bas de son veston.
Il attend que la caméra soit en place.
En patientant, il tapote le Rôdeur comme un gentil matou, et l’autre rebondit, placide.
Est-ce que c’est parce qu’il est insaisissable que PMG laisse derrière lui autant de contes ?
Possible.
Et puis, il faut replacer cet homme au centre du décor qui lui reste attaché pour toujours dans les esprits.
Un décor hallucinant.
Une sorte de légende urbaine.
Personne n’habite Portmeirion.
Les fenêtres donnent sur des pièces vides, quand elles ne sont pas des trompe-l’œil.
Ce village nommé, visité, cartographié et célébré, n’existe pas [8].
[1] où il découvre son talent pour la boxe et joue Le Roi Lear au club théâtre.
[2] activité qu’il doit cesser, car les plumes provoquent chez lui une crise d’asthme bronchique qui le laisse cloué au lit pendant six mois.
[3] la légende raconte encore qu’il y a exercé tous les petits métiers, éclairages, manutention, décors, jusqu’au soir où il monte sur scène pour remplacer un acteur malade. Plus tard, la troupe part en tournée dans une petite ville minière, avec The Cocktail Party, une pièce de T. S. Eliot. L’électricité tombe en panne, mais ils continuent à jouer grâce aux lampes des mineurs qui éclairent le plateau. PMG en parle comme de son plus beau souvenir de scène.
[4] un film de John Sturges, de 1968, avec Rock Hudson et Ernest Borgnine – le film préféré d’Howard Hughes qui déclara l’avoir vu cent fois.
Ce film est tourné aux USA en même temps que la série Le Prisonnier, à un moment où Portmeirion ne peut pas être utilisé comme décor, ce qui force un des scénaristes, Vincent Tilsley, a imaginer une histoire sans Village et surtout sans PMG, les deux points irremplaçables du show (Do Not Forsake Me Oh My Darling, où le héros se trouve téléporté dans un autre corps et ailleurs en Angleterre... ).
[5] « La première fois que j’ai entendu les mots "Pat McGoohan", ils sortaient de la bouche d’un homme du nom d’Everett Chambers, le producteur de Columbo. Quelque part vers 1973, Everett me dit : "Il y a cet acteur nommé Pat McGoohan. Aucun autre acteur au monde ne peut faire pour Columbo ce que cet acteur peut faire. Tu dois l’utiliser." J’ai demandé : "Qui est-ce ?" – je n’avais jamais entendu parler du Prisonnier et je ne l’avais jamais vu jouer. Et il a juste répondu : "Crois-moi." Je n’avais jamais vu Everett aussi catégorique et insistant, ni aussi ferme, envers qui ou quoi que ce soit, durant les vingt ans qu’on duré notre relation. Il ne lâcherait pas. Il était convaincu que je reconnaîtrais en Patrick McGoohan ce que lui voyait. Donc, quand nous avons eu le scénario de By Dawn’s Early Light, j’ai dit : "Si tu crois autant en cet homme, parle-lui." Et il est revenu et m’a répondu : "Il est intéressé, il va le faire." » ("The first time I ever heard the words ‘Pat McGoohan’ came from the mouth of a man named Everett Chambers, the Producer of Columbo. Somewhere around 1973, Everett said, ‘There is an actor named Pat McGoohan. And there is no other actor in the world who can do for Columbo what this actor can do. You have to use him.’ I asked, ‘Who is he ?’ (I’d never heard of The Prisoner and I’d never seen him act.) And he said, ‘Just believe what I’m telling you.’ I have never seen Everett so adamant and so persistent ; he had never been quite that stubborn about anyone or anything through all of our 20-year relationship. He wouldn’t let up. He was convinced that I would recognize in Patrick McGoohan what he saw in the man. So when we got the script By Dawn’s Early Light I said, ‘If you believe that much in this man, talk to him.’ And he came back and said, ‘He’s interested and he’ll do it.’ That was the beginning with Pat McGoohan.")
[6] le Rôdeur est, dans la série Le Prisonnier, la chose la plus effrayante qui soit : à chaque nouvel épisode, c’est une nouvelle tentative du prisonnier de s’échapper ; il n’y parvient jamais, car dès que sa tentative d’évasion est repérée, un système d’alarme se déclenche ; une boule blanche, énorme, bondissante, sort de l’eau, dirigée par je ne sais quelle entité divine ou satanique, et se dirige droit sur PMG qu’elle avale, littéralement, étouffe, digère, il tombe évanoui ; lorsqu’il se réveille, il est dans sa chambre, au Village, et il doit tout recommencer. La vision du Rôdeur, lorsque j’avais six ans, reste gravée en moi, car c’était comme voir le vrai visage de la Mort. D’ailleurs, je le pense toujours. C’est le vrai visage de la Mort.
[7] environ 6000 au total selon PMG, parfois elles sont remplies d’eau, ou d’oxygène, ou d’hélium selon l’effet voulu à l’écran.
[8] Espace publicitaire sur Tripadvisor : Rendez-vous à Portmeirion ! « Profitez d’une visite de Portmeirion, en vous promenant dans le célèbre village touristique côtier de style italien, situé dans un cadre et des jardins magnifiques. Il y a des magasins, des cafés, des salons de thé et des restaurants. Ceci est mieux décrit comme un village astucieux et ludique avec une fantastique collection de reliques architecturales. Aussi connu comme un village romantique, pittoresque, relaxant et souvent enchanteur. Un "soulagement heureux" des "irrationalités rigides et des folies calculées" du monde moderne. Durée : 2 heures 20 minutes »
C’est bien la preuve que Portmeirion n’existe pas, tout comme n’existe aucun "soulagement heureux" des "irrationalités rigides et des folies calculées" du monde moderne ».