des graines
mercredi 23 janvier 2013, par
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Chacun pris dans une alvéole. Celle du bruit, celle de la vue.
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Les volets s’ouvrent le matin sur un écran, et une dame en voiture est venue, faire une piqûre ou changer un pansement. L’écran lance ses reflets sur les vitres, mène sa vie interne de visages souriants et de paysages durs, organise. Elle s’avance à la porte et regarde la voiture s’éloigner, chaque matin le parcours à refaire, parfois le ciel laisse des traînées roses flotter mais on ne sait pas si elle les voit, car l’écran prend toute la place. Elle a des portes blanches de placard et des tiroirs remplis de boîtes qu’elle n’a pas su ouvrir. Elle place des sachets de lavande aux quatre coins, ils n’ont de lavande que le nom et les motifs sur le tissu, ils sentent le foin perdu avec des éclats métalliques, ils sentent une odeur autre qu’elle ne cherche pas à connaître. Le passé est perdu, elle pense, et devant l’écran elle s’assoit. Elle imagine les discussions, ce qu’il aurait pu dire, elle doit réinventer complètement sa voix, elle se souvient mieux de ses gestes, de la place qu’il prenait dans la pièce, quelquefois au point de le voir, mais sa voix est perdue, alors elle imagine qu’il pense. Un matin, elle raconte ce qu’il aurait pensé et la dame aux piqûres acquiesce, toute à sa hâte d’être efficace. D’autres fois, des hommes viennent tailler la haie et ramasser les feuilles. Elle dit ce qu’il aurait voulu, la hauteur des arbustes, les bulbes à déterrer et elle raconte qu’ils allaient en vacances dans un endroit rempli de mimosa, qu’ici, ça ne pousse pas, elle le redit pour s’excuser, elle n’a pas oublié, simplement on ne peut pas ici, il comprendrait. Le dimanche, les petits grimpent dans la brouette et escaladent la pierre devant la boîte aux lettres, lancent des ficelles autour des branches basses du pin pour y accrocher des soldats qui balancent, puis s’en vont. Ce qu’il dirait, ce qu’il ferait, ce qu’il penserait prend trop de place, les petits ne sont pas de taille. Elle garde les fils très serrés, le plus possible, mais tout s’égrène. On pince entre deux doigts le plumet des herbes sauvages, et on tire. Toutes les graines au creux de la main serrées, puis s’éparpillent. On recommence avec l’herbe suivante mais ce n’est plus la même. Et la répétition imite les ombres. L’écran est noir, puis fulgurant de ces sourires. Elle est devant, dos à la porte et mains serrées.
Messages
1. des graines, 23 janvier 2013, 09:15, par brigitte Celerier
heureuse de n’être pas encore go pour avoir vu cela..
et puis un peu reconnu l’écran, et même les sachets, mais ici il manque le reste
Tout doux ce texte
2. des graines, 24 janvier 2013, 05:04, par Pierre R Chantelois
Parfois une maison qui semble abandonnée peut être habitée par une grande, une insupportable solitude, elle-même corruption de la vie lorsque rejetée.