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« la vie ça éparpille des fois / ça chélidoine et copeaux / ça bleuit ça noisette » [Maryse Hache / porte mangée 32]

PLACARD DE L’ATELIER

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[Oblique (textes /premier jet)]

Elles ont des coiffes

mardi 3 décembre 2013, par c jeanney

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Elles ont des coiffes et des tabliers sur leurs jupes, toutes rassemblées sur la place de Frosinone. Ça fait une grande marée de robes et de visages vieux et jeunes, serrées les unes contre les autres, sans doute qu’elles se connaissent presque toutes. Elles pourraient se mettre à danser, ce qui se passe d’habitude, mais il faudrait qu’un instrument lance sa note, qu’il fasse signe et coupure, qu’il indique que le temps du travail s’interrompt. Des instruments, il n’y en a pas, elles ne sont pas là pour danser. Des hommes en noir, des femmes en noir, costumes cintrés et militaires, l’une d’elles vérifie son tailleur, sa tenue, le béret sur l’oreille est noir aussi, ils présentent sur les tables le produit des filatures nationales, propaganda, parti fasciste. Ils marchent avec assurance, déploient les tissus, les pelotes, les pampilles au milieu des robes et font passer de main en main toutes sortes de lins tissés à motifs, des bobines, des fils à broder qui serviront pour les mariages et les baptêmes, sans doute les enterrements. Les femmes en coiffes applaudissent, lèvent le bras, sont volontaires pour toucher, blanche neige aussi admirait le rouge de la pomme, elles se formulent des hypothèses de foulards de dentelles, pour elles, pour offrir à la fille, ou une chemise au mari pour aller à la messe le dimanche. Toutes les coiffes s’animent, ensemble blanc, et des barrettes dans les cheveux noués, sans doute qu’à l’écart, l’une ou l’autre est restée, parce qu’un des hommes en noir lui faisait peur, elle aura eu comme un pressentiment, une intuition. À Sora, on réhabilite les baraquements, grâces soient rendues à Andreotti. Les images sont claires, binaires, un avant, un après. Dans la même rue, de chaque côté du trottoir, les baraques de bois aux linteaux déboités et du linge déchiré qui pend aux ouvertures, avant, et après ces bâtiments bétonnés et lisses tous identiques, propres, dans la même rue et l’un en face de l’autre. Une cinquantaine d’enfants, ils applaudissent, l’une a cinq ou six ans, une fillette, un bébé dans les bras, un nœud dans les cheveux, et tous les autres, tanti, tanti, et tous les autres. Un jeu d’échecs à taille humaine. L’homme à tête de cheval avance, le hallebardier est un pion. La reine, si douce, giovanetta, bien trop fluette, mange le fou à plume exubérante venu trop près, suivant la diagonale, comme indiqué par les complets vestons maîtres de la partie. Un évêque ou un pape arrive, à ses côtés le garde, habillé comme un fou mais ce n’en est pas un, toutes les femmes applaudissent, et aussi les hommes en chapeau, on ôte le drap de la statue bénie pour l’inauguration. Cronache ciociare. Le visage d’un jeune garçon dans la foule. Un jeune garçon parmi les spectateurs al cinema culturale. Un jeune garçon devant le politicien qui fait sortir des maisons neuves de terre, cinquanta case. Un jeune garçon présent à la bénediction, son visage dans la foule doit être quelque part, un jeune garçon qui assiste au jeu d’échecs grandeur nature. Je reprends les images, je rembobine, un jeune garçon. Derrière les femmes coiffées, toutes en robes assemblées, il est là, un jeune garçon, il a le visage de mon fils.


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