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« la vie ça éparpille des fois / ça chélidoine et copeaux / ça bleuit ça noisette » [Maryse Hache / porte mangée 32]

PLACARD DE L’ATELIER

du pourquoi pas

[journalier]

journalier 26 03 15 / bruits voix qui

jeudi 26 mars 2015, par c jeanney


 Sortie de nuit, une bouillie de mots en gestation vers la clarté, alerte, coup de semonce interne et l’oubli qui suit et rend inoffensif le drame flou. Cette certitude que quelque chose va arriver, qu’on ne saura pas quoi faire. Chercher le nom du jour, le trouver, jeudi, un mot souriant, sans doute à cause de la petite enfance où je n’allais pas en classe ce jour-là, du temps où les smileys n’existaient pas. Ensuite tout s’est calmé, avec le vrai réveil.
 J’ai une ou deux bandes-sons d’écoutes oblique d’avance, quasiment prêtes. Ce matin je mets en ligne la 22 pendant que je travaille la 25. Attendre deux ou trois jours quand je pense qu’une bande-son est terminée me permet de la retravailler mieux. En la réécoutant j’entends des endroits qui boitillent, endroits à modifier.
On dirait que l’oreille (la mienne en tout cas) n’est pas capable de tout appréhender à la fois. Qu’elle ne peut agir que par faisceaux, se limitant à une portion de sons et ignorant les autres. Comme si elle éclairait, en lampe de poche, un point seul, le reste dans l’obscurité. Je bouge la lampe quand l’énergie revient, j’entends enfin (et je peux modifier) ce que j’avais écouté vingt fois sans le remarquer. Un peu comme à la relecture d’un texte connu, on le reçoit différemment, c’est perturbant et intrigant aussi. Ensuite, juste avant de mettre ma bande-son en ligne, je fais une dernière écoute et selon ce qui se passe, je la re-retravaille ou je me dis tant pis, je laisse couler. Parfois c’est un détail si minuscule.
 Grâce au Tiers livre, aux richesses qui s’y trouvent, je peux lire les bruits à rechercher de Michaux.
"Craillements de corbeaux (longue suite). D’un ou deux d’abord, ensuite de toute une troupe selon une gradation sonore qui doit en peu de secondes devenir impressionnante."
Une suite de bruits, des bruits comme un espace en soi, autonome. Bruits qui donnent la texture, on entre dans un paysage, mais par un autre bout, l’outil optique n’est plus le même et la fiction s’ouvre autrement. Des bruits narratifs, non clos, qui laissent passer l’indiscernable. Des battements d’un cœur amplifiés par exemple, disent l’émotion sourde, mais les corbeaux, quel champ ouvert en soi, indéfini.
À mon échelle, c’est comprendre que ma routine de travail autour des écoutes oblique peut s’inverser (inimaginable pour moi avant de lire cette page de Michaux) : jusqu’ici, j’ai pris pour base le texte, ma voix, et travaillé à sa périphérie en comblant ou en ajoutant des silences, en installant des sortes de prologues ou de conclusions, et des changements "de ton". Michaux me dit que je peux m’approprier les sons d’entrée, les prendre eux d’abord ("d’abord", à l’abordage dirait MH), eux avant tout.
Les sons comme base, et les écrire. Ensuite seulement le texte lu viendrait trouver une place dans les creux et les bosses, les flottements. Je vais tenter.
 De plus en plus sceptique/distante à propos des citations (souvent c’est sur twitter que j’en vois passer). Depuis que je traduis Virginia Woolf, lire une citation des Vagues surtout, m’énerve une peu. Car qui parle ? Rhoda, Bernard, Neville ? Selon la voix, les mots ne disent pas la même chose. Le champ/chant sémantique plus large que l’objet-mot, le hors-champ – hors chant ? – et l’imaginaire qui s’en échappe, tout en nuances, est bien plus fin que la citation brute. Sinon, c’est un peu comme regarder une allumette en croyant voir un arbre. Et la question : qui a traduit cette phrase ? (je vieillis – c’est logique pour quelqu’un qui a connu les jeudis fériés –, alors je ne prends plus une phrase en pleine figure sans la soupeser avant) (peut-être que c’est dommage aussi, je ne sais pas)
 Qui parle. Une sorte de clapet refuse de s’ouvrir dans mon crâne tant que je n’ai pas résolu ce problème du qui parle, qui donne de la voix, et pour qui. D’où l’importance de plus en plus grande de cette rubrique du journalier pour moi : la voix de la petite couverture blanche a fini de parler, son écriture est derrière moi (je n’ai qu’à trouver les sons de la centaine de pages qui reste, mais sans en écrire de nouvelles), et la voix de VW traduite est fulgurante, donc fugace, hors de portée, malgré sa présence forte. Où est ma voix ? ici sûrement, dans ce journalier.
Mais j’ai ce problème du "qui parle" à creuser quand je lis d’autres textes sans ce "qui" très cerné. Cette part blanche, qu’est-ce qu’elle provoque ? John Cage dit : "Quand un bruit vous ennuie, écoutez-le", ça peut se transposer.
 L’être humain est un volatile insensé (dans le sens d’oiseau à plumes à la Léocadia) auquel on ne peut pas faire confiance, j’en suis la preuve : je grimace, pffft, je prends de haut les citations de Woolf, et vingt secondes plus tard j’en saisis une de Cage que je trouve pleine de sens.
(toujours finir par l’histoire de la poutre, de la paille, du voisin et de son dos qu’on a dans l’œil)

(pendant ce temps, les corbeaux corbètent)

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(site sous licence Creative Commons BY-NC-SA)

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