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« la vie ça éparpille des fois / ça chélidoine et copeaux / ça bleuit ça noisette » [Maryse Hache / porte mangée 32]

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Cette ville n’existe pas de Daniel Bourrion

mardi 2 novembre 2010, par c jeanney

« Cette ville n’existe pas disent nos instincts nous disent nos yeux malgré ce que l’on voit malgré ces gens malgré ce ciel malgré ces visages distingués et les panneaux dans des langues inconnues inventées (ce peut être) malgré les noms des rues que l’on pense avoir lu ici ou là ce devait être dans des sortes de rêves de ceux où l’on marche sans fin dans une ville de toutes pièces créée une ville qui n’existe pas. »

Un voyage à New York en avril 2010. Daniel Bourrion prend des photos de la ville, instantanés de l’œil qui saisit une rue, une façade, les passagers dans le métro, un parc, un mur tagué… Les angles et perspectives varient, jouent de la hauteur et de la lumière, dans l’inclinaison et le mouvement. S’offre une vision d’étrangeté, d’achoppement au réel, et ce sentiment d’être enseveli ou happé par le spectacle de cette ville (“tentaculaire” comme il est dit régulièrement). On pourrait mesurer sa force et s’arrêter simplement là.

Mais Daniel Bourrion ne s’arrête pas, ne peut pas s’arrêter à ces clichés, dans les deux sens du terme. Ses photos ne traquent pas le spectaculaire, ne se placent pas dans la posture ou dans l’esthétique un peu vaine, mais initient une fouille, se heurtent à des obstacles insoupçonnés, sondent des limites, imposent des interrogations. Que disent les jambes et les mains, les escaliers, les chaises vides, les écrans reflétés, les tuyaux, les fresques, les arbres ?
Cette ville, un fantasme, une invention, le point de jonction de fictions, d’énigmes à élucider.

« Cette ville n’existe pas et pas plus n’existent ces immeubles de verres sur lesquels s’acharnent des arbres alpinistes partis mais harnachés vers des sommets d’acier vers nos tours de Babel (que trouveront-ils là-haut on préfère l’oublier ne même pas y penser – à dire vrai on ne le sait pas et c’est pour nous mystère de plus). »

Les textes courts posés à l’intérieur ou à la lisière de chaque photo en modifient le sens, l’amplifient, opèrent un étrange recadrage. Les mots guident, soulèvent les angles, et le dessous des lieux se montre, résurgences et excroissances qu’on ne pouvait imaginer. Nous sommes dans la ville, encerclés et reclus, englués dans ses « fragments façon puzzle », cachés dans ses méandres, parfois perdus.

Nous marchons sur un empilement de fossiles, « des traces comme témoignages de la ville vieille et attestant mais sur les murs (gris textes stigmates qu’exhibaient des briques rouges et sales mémoires de toutes les âmes perdues errant sur la peau scarifiée de la ville grande et sans remords)  ».

Nous sommes dans la ville excentrés, déplacés. Nous cherchons nos semblables et nos inventeurs.

« Peut-être à flanc de plages, ces lieux encore hantés, fantômes sans figures, ceux qui rêvèrent la ville, et firent plus que cela, allèrent la construire.  »

Nous cherchons derrière d’autres questions, d’autres explications et la lecture de Cette ville n’existe pas devient elle-même “tentaculaire”, lançant ses bras vers des tensions qui ne nous avaient pas effleurés.

Le jeu entre textes et photos se fait sans bégaiement, sens et sensation portés différemment dans une force jumelle. À la première lecture, les textes insufflent une dimension hors-cadre aux photos feuilletées. Aux lectures suivantes, photos et textes ne disent plus les mêmes choses, approfondissent, explorent plus loin encore, et ouvrent de nouveaux passages.

« Cette ville n’existe pas et croire le contraire impose de la construire à partir de ses ombres à partir des échos qu’elle laisse sur nos yeux d’excès écarquillés. »

CETTE VILLE N’EXISTE PAS de Daniel Bourrion
Textes et photos sur Publie.net

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