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« la vie ça éparpille des fois / ça chélidoine et copeaux / ça bleuit ça noisette » [Maryse Hache / porte mangée 32]

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Ferroviaires de Sereine Berlottier

samedi 25 juillet 2009, par c jeanney

« Elle arrivait, et c’était un nouveau métier, une autre vie, elle travaillait dans le train chaque jour, elle emportait le grand cahier à carreaux, à spirales, elle notait les choses du jour à savoir, les choses à faire, à demander, à comprendre, l’organisation, les projets, le passé, l’avenir, les gens, leur nom, leur histoire du métier, et ce qui n’était pas écrit n’était pas appris, ce qui n’était pas écrit s’était perdu en chemin sans doute. »

Dans Ferroviaires, se trouve une portion de monde, saisie depuis le compartiment d’un train, au cours de l’aller-retour entre Paris-Montparnasse et Saint-Quentin-en-Yvelines.

Il s’agit de rendre des images, des sons, des intentions et des postures. Autant d’instantanés pris dans ce mouvement d’un point vers un autre, dans ce déplacement que l’on devine répété, renouvelé chaque jour. Sens en éveil, à l’écoute, Sereine Berlottier attrape des signes, traduit le visible comme il s’écrit, en incluant les mots des voyageurs au passage : livres posés sur les genoux, quotidiens feuilletés, mots fléchés, inscriptions sur les vêtements…

« en mouvement sous un ciel gris, ce serait donc une fois encore
une cheminée qui fume derrière les lettres Auchan rouges massives sur le toit d’un immeuble gris
 »

Dans ce paysage sonore, parfois une parole (« excusez-moi dit l’homme je suis au chômage ») s’élève au-dessus des nuques des voyageurs, d’autres fois, c’est « toujours la même voix de femme sur le quai [qui] annonce les voies, les retards ».

Le visible est pris dans sa globalité, tous les détails se frayant un chemin jusqu’à nous en même temps.
Un sentiment de glissement, d’éclatement de repères s’installe et surprend, dans la rigidité de ce trajet obligatoire sur rails. La perception s’élargit.

« à 8 h 20 dans la lumière d’un ciel lavé, le crissement des biscuits, le froissement des journaux, les cahots lents à la sortie de la gare, la voix monotone de l’homme mendiant, le dos de sa main craquelée, brûlée, quand il la tend, et l’effort qu’il y aurait à faire pour lever la tête vers lui et inventer un regard vrai d’œil posé en entier au milieu du visage
ensuite on roule
ensuite il y a des maisons
il y a des cubes béton, des villas, des barres, des HLM, des immeubles, des bicoques, des cabanes, des survivances, des effondrements
 »

Au milieu des descriptions d’hommes, de femmes, de gestes, de paysages, l’esprit s’échappe, laisse dériver la pensée, rêve…

« des tags au rez-de-chaussée, des rideaux blancs, le reflet d’une lampe sur l’acier gris d’un train immobile et le mur antibruit, semblable à un gigantesque éventail, rose et gris, courbé vers le train

les gouttes d’eau tracent sur la vitre des lignes obliques qui font un miroir aux jeux de l’enfance : pointant un stylo sur la page il fallait alors y lancer la mine de manière à tracer une ligne, une flèche, un chemin, jusqu’à l’improbable but d’une cible lointaine, un lieu désigné ; parfois la mine pilait net, n’élevait nulle courbe mais s’écrasait sur la page crevant le papier, on reprenait alors le chemin là où la trace s’était brisée, le premier arrivé avait gagné la partie  »

L’écriture de Sereine Berlottier attrape des indices, les place et les replace, veut garder l’instant, s’y attarder. Car pour la narratrice de Ferroviaires, il s’agit d’un dernier aller-retour, et bientôt il lui faudra constater son échec de ne pouvoir se rappeler de ces moments, « elle voudrait leur dire qu’elle regrette, elle voudrait leur dire qu’elle a le regret de ce regret-là, les visages et les noms de chacun d’eux même si vite oubliés ».

C’est une ambiance tangible qui ressort de ce texte. La foule des voyageurs, le bureau, le chantier, les maisons, tous ces matériaux prennent forme de manière précise, y compris dans la contradiction posée par l’instant : les contours sont tantôt nets, tantôt flous, la géométrie des lieux perceptible une seconde puis oubliée, fugace, déjà derrière nous, prise dans cette fuite en avant due au déplacement.
Ferroviaires se termine avec le train immobile, déserté. Le voyage est achevé, mais le trajet a été bien plus large que la simple ligne droite d’un aller-retour…

« le souffle de la porte qui s’ouvre, se ferme
on traverserait sans toucher
affiches publicitaires sur les quais déserts, hôtel-résidence machin chose en Grèce

villes fantômes, d’une main magicienne soulever le couvercle des toits et pencher la tête au-dessus, en avoir le cœur bien net, voler sur les cheminées, souffler à travers les rideaux, respirer la vapeur au-dessus des marmites, caresser l’éponge douce d’un pyjama d’enfant »

Ferroviaires de Sereine Berlottier
à lire sur Publie.net

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