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« la vie ça éparpille des fois / ça chélidoine et copeaux / ça bleuit ça noisette » [Maryse Hache / porte mangée 32]

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La Tendresse de Jacques Ancet

dimanche 30 octobre 2011, par c jeanney

« pourquoi ce désir de t’écrire toi qui n’es pas, y trouverai-je ainsi à exister moi-même enroulant ma phrase autour du ventre d’ombre »

C’est un exercice perdu d’avance de vouloir rendre compte / présenter / simplement dire un texte de Jacques Ancet, exprimer cette capacité qu’il a de fonctionner en cercles concentriques jusqu’à une moelle commune à tous mais que personne n’avait atteinte comme il le fait, avec cette méticulosité du mot, cet abandon et cette acceptation de laisser monter en soi ce qui bouleverse.

La Tendresse, une litanie poétique, de très longues phrases et peut-être une seule phrase coupée par de petites respirations qui forme des pans ou des parties, centrées autour d’un « un » ni nommé, ni défini.

D’entrée, on partage une sorte de gestation mystérieuse, ce serait le dialogue secret d’une femme enceinte avec un « un » diffus. Puis se poursuit l’étirement de ce fil qui lie le « un » à soi, et La Tendresse s’explore dans cette capacité à surmonter la séparation, à en déjouer les vides et les trous noirs quand le « un » devient autre que soi mais pas seulement et pas vraiment entièrement, ces moments où l’on peut réussir à conserver des bribes, la gratitude exprimée à la vie, sous-jacente.

Des pensées qui traversent ce que voit le regard et ce qu’entend l’oreille, cris d’enfants, l’espace de la nuit, des figures maigres et misérables, dans la tête posée sur la main, dans le geste d’écrire, « les mots sont une lente procession d’insectes, j’entends leur grésillement ».

Chaque angle approché de La Tendresse pourrait devenir citation. Jacques Ancet provoque l’envie de noter, de revenir sur sa parole lentement, longuement. Au milieu du rythme ample de ce texte, de petits poèmes sourdent, pourraient s’extraire et vivre seuls :

« j’écoute la nuit, sa voix emplit les chambres de terreurs lointaines »

« l’instant est un mot arrêté que je regarde longuement sans le comprendre »

« un vide clair comme une plage très tôt le matin »

« j’écris pour que le temps m’emporte, ne meure pas sans moi, mots du petit poucet »

La Tendresse chercherait – c’est ma lecture, elle est sans doute bien limitée – le chemin vers ces moment indicibles où se palpent l’évidence de l’existence complète au monde, tous les sens tendus vers cette fraction d’infini, la finitude présente aussi, la capture de l’éphémère, sa brillance.

« je vous contemple, en cet instant vous êtes immortels, une seule fois et pour toujours, je ne sais pas écrire cette merveille mais je la cherche »

Non, réellement, c’est un exercice perdu d’avance pour moi de vouloir présenter un texte de Jacques Ancet, sans passer par la multiplication des extraits pour montrer la matière, belle, ondulante et dure. Sans finir par une injonction presque impatiente, à en taper du pied sur le sol, mon impuissance à dire autre chose que Lisez, lisez Jacques Ancet.

« tes yeux étranges, soudain, qui me fixent ou ce contact encore de ta main dans la mienne, la mouche s’obstine, le temps coule de mes yeux, de mon nez, de ma bouche, de chaque pore, je sue du temps, j’en pleure, un fleuve invisible m’entoure, silence, tiédeur des corps, bonheur instantané, la mer est d’un bleu d’enfance, mouettes et lumière, je respire doucement, cherchant toujours, suspendu à un fil, perdu, chaque jour, recommençant, le laurier le vent et toi qui demandes, comment on écrit clé, j’épelle c l, oui, é accent aigu, c’est ça, c l é accent aigu, suivant des yeux un gros insecte errant de fleur en fleur »

La Tendresse de Jacques Ancet, à lire sur Publie.net

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