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« la vie ça éparpille des fois / ça chélidoine et copeaux / ça bleuit ça noisette » [Maryse Hache / porte mangée 32]

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Roman d’épouvante de Jean-François Paillard

mardi 6 octobre 2009, par c jeanney

« Mais moi. Moi, j’étais sourd. J’étais aveugle, j’étais borgne, myope et presbyte. Pourtant j’avais la vue perçante, j’étais visible et invisible à la fois, j’étais fort, sonore, trop sonore. J’étais aigu, perçant, discordant même. J’étais enroué, rauque, faible, bas, étouffé, perceptible et imperceptible à la fois. J’étais odorant, j’étais à la fois parfumé et inodore. J’étais rugueux et lisse, doux et mou et dur à la fois. J’étais dur mais sucré, j’étais sans goût, j’étais muet, j’étais sourd-muet, j’étais silencieux, sans bruit, j’étais sans bruit mais bavard. Si bavard et muet à la fois. »

Jean-François Paillard convoque les mots pour une expérience haletante dans ce Roman d’épouvante.

Un narrateur aux caractéristiques multiples et protéiformes se lance dans un mouvement vers l’avant ininterrompu, découpé en deux parties : Naître et Fuir.

L’accumulation de détails contradictoires installe une sensation étrange, contradictoire elle-aussi : les ressorts de la peur, l’inquiétude qui plane, se doublent d’une sorte de détachement satirique, de jeu, face à une performance acrobatique.

« À chaque instant réitérer, cesser, continuer.
À chaque instant s’écouler, s’écouler vite, s’écouler lentement.
À chaque instant attendre, grandir, vieillir.
À chaque instant avoir peur.
Peur des gens. Peur du bourg. Peur des gens tout autour.
Peur du hameau, de la chaumière, de la maisonnette.
Peur de la cabane, de la masure, de la saumure.
Peur du paysage, du manoir, du château-fort.
Peur du domaine, de l’église, du curé.
Peur de la cure, de la poste, du receveur.
Peur de l’instituteur, du cabaret, de l’auberge, de l’aubergiste.
Peur du terrain communal, du garde-champêtre, du sacristain-fossoyeur.
Peur de la tombe, du cimetière, de la route, de la faute.
Peur des doutes, des soupçons, des mensonges, des accusations.
Alors fuir.
 »

Mais, au-delà du jeu avec la langue, « la sauce prend », et l’on suit ce narrateur dans une sorte d’urgence à décoder ce qui lui arrive. Un parallèle pourrait être fait avec un film d’animation aux personnages seulement esquissés dans un assemblage de traits mouvants, rapides, efficaces.

« Plus tard un bac. Plus tard un passeur. Une inondation. Un lac. Un étang. Une mare. Une pièce d’eau. Une pièce à conviction. Un marécage. La tourbe. Une affaire embrouillée. Un canal. Le chemin de halage. Un barrage policier. Une écluse. Une vanne. Un pêcheur à la ligne. Un journaliste. Un tireur à la ligne. L’attirail de l’enquêteur. Une ligne. Un hameçon. Un bouchon. Un flotteur. Un ver.
Un appât.
 »

Les clins d’œil au genre du roman à suspens fonctionnent, et l’accumulation des mots accentue la sensation d’encerclement.

« Fuir toujours. Se mettre en route. Partir. Démarrer. Conduire. Dépasser. Doubler. Croiser. Être secoué. Cahoter. Déraper. S’écraser. Se retourner. Faire ses bagages.
Descendre. Marcher. S’arrêter.
Faire de l’auto-stop.
Monter.
Descendre.
Aller à bicyclette. Se mettre en selle.
Diriger ses pas.
Rapide. Lent. Au hasard. Prudent. Imprudent. Fatigant. Reposant. Régulier. Ferme. À l’heure. En retard. Plein. Bondé. Complet. Vide.
 »

Roman d’épouvante fait plus que nous « promener ». Il nous tire par la manche dans une fuite en avant « pour du faux » : on joue à se faire peur avec un plaisir qui rappelle les jeux de l’enfance et leur intensité.

Avec une fin (non-dévoilée ici) très forte, l’ensemble donne une construction parfaitement maîtrisée, qui fait penser à une pièce recouverte de miroirs : démultipliés, ils reflètent l’absurdité du monde, déforment, se chevauchent et renvoient une image à la fois imparfaite et complète, complexe… épouvantablement réjouissante !

«  Prendre la sirène, la fusée et le missile.
Prendre la bombe A, la bombe H et la bombe à fragmentation.
Faire tout exploser.
En faire de la confiture.
En faire de la littérature.
En faire de la confiture de couplets.
De la confiture de versets.
En faire de la confiture de strophes, de la confiture de jambes et d’enjambements.
En faire une confiture de comédie, de drame et de tragédie avec une intrigue et un dénouement
. »

Roman d’épouvante de Jean-François Paillard
Collection Zone Risque
Chez Publie.net

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