TENTATIVES

« la vie ça éparpille des fois / ça chélidoine et copeaux / ça bleuit ça noisette » [Maryse Hache / porte mangée 32]

BLOCK NOTE

block note - autre

lundi 5 mai 2025, par c jeanney

J’ai eu l’idée très nette au réveil d’un agencement, il y avait d’un côté le tout dans le tout, et de l’autre des ilots. Les deux existaient, sans se contredire ou s’ignorer. Il y avait le tout dans le tout, tentaculaire, les moindres fils liés aux fils plus loin et en dessous, les touchant, les frôlant, formant cette sorte de filet entre les choses, comme si l’air n’était pas de l’air, ou qu’il était un air moelleux comme une couverture et enveloppant, des plis, pas de coutures, et tout l’air, au lieu d’être transparent et sans poids, est bousculé, malaxé, fripé par les choses et les bouscule, les malaxe et les fripe à son tour, tout est dans tout et tout se tient. Il suffit d’une mouche ici pour influencer là, il suffit d’une idiotie ou d’une méchanceté ou d’une moisissure à un endroit pour que ça se propage ou que ça se rétracte, réagisse comme un seul organisme. Voilà pour le tout dans le tout. Qui était évident. Au milieu de ce tout, en plein dans ce tout, des sortes d’objets flottants étanches et autonomes. Qui ne réagissent pas. Cernés. Indéformables, indissolubles. Je crois qu’il y a des gens, des émotions, des lieux et des objets comme ça, étanches, indissolubles. Et qu’ils flottent, ces gens, ces affects, ces matériaux divers, dans le tout coulant et s’écoulant. Sans s’y mêler. Sans que la pellicule qui les recouvre en soit changée, ni en température, ni en texture, la peau de ces humains, la peau de ces émotions, la peau de ces jardins, de ces murs, de ces villes et de ces outils est faite pour résister à la fusion, au givre, aux picotements de l’entourage. J’ai eu cette vision très nette que j’ai essayé de dessiner. Mais c’est devenu autonome, autre chose et étanche au reste d’une certaine manière. C’est devenu étranger à moi. Il y a un décalage constant entre ce que je pense, l’objet qui est pensé, et ce que ça provoque ou ce que j’en fais. Un décalage, glissement, une déformation. C’est très frustrant et c’est très bien, parce que c’est vif, vivant, inadapté et modifiable. Les billes étanches prises dans le tout sont mortes, ni modifiables ni changeantes, donc mortes. Ça doit être sous l’effet des contraires : ce qui se veut éternel, inusable, raconte sa mort à chaque seconde. La vie bouge. Les idées au réveil ne font pas partie de la même peuplade que les idées du jour qui ont eu le temps de se tasser, de s’armer, de se contenter de, ou de se faire manger.

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(site sous licence Creative Commons BY-NC-SA)

Messages

  • le fait de l’autre me fait penser (de la même manière que cette disjonction) à ce que je ressens toujours avec les images des gens connus (dispersion tsais) mais pas seulement : avec cette distance qu’il y a entre "eux" et "nous" - nous sommes les mêmes mais nous sommes ailleurs différent.es autres - un fossé, une faille, une différence sûrement ? - un écart en tout cas...

    • (oui, et aussi il y a cet écart entre le très proche et ce qu’on ne peut pas approcher, mais qui est la même chose) (c’est ce qui se passe avec certaines photos, elles sont en soi et semblent avoir été faites pour soi, et pourtant elles sont tellement écartées de soi qu’on ne pourrait pas en parler comme il faudrait, ou pas en parler comme on aimerait) (merci Piero )))

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