block note - brouille
jeudi 13 février 2025, par

Il y a le matin en ce moment chez moi un drôle de brouillard, pas très dense mais situé, c’est-à-dire inévitable. Pas très ferme cependant. À certains points, sous certains angles, les choses me paraissent claires, contours précis, texture des feuilles nette, et chaque gravier possède sa personnalité. Je tourne la tête ou bien je tousse, et je vois du flou se poser comme un voilage. À force de le guetter, de traquer sa présence, je le vois mieux, ou bien il me gêne davantage. Un brouillard de paranoïaque, car si c’était moi qui l’inventais ? ou alors j’ai raison, car même les paranoïaques ont raison d’avoir peur parfois ? Ce brouillard ne me pèse pas que sur les yeux, il a une odeur un peu métallique et sourde, comme un produit chimique indécelable dont on connaîtra un jour mais trop tard les effets. En ce moment je ne respire pas facilement. Et ce doit être la résultante de facteurs variés, comme les virus et l’inquiétude, les mots qui se trouvent effacés, c’est glaçant je crois, non, pas glaçant, mais incroyable au pays de la droiture de tous les films hollywoodiens ingérés à haute dose. C’est peut-être ça le brouillard, le softpower depuis mon premier chewing-gum, mon premier dentifrice. Il n’y a pas d’opération Good bye Lenin, pas de statue transportée par hélicoptère qu’on veut cacher pour éviter un traumatisme. Il n’y a rien à cacher, les couleurs sont violentes sous le flou qu’on voudra y mettre, le brouillard décidé par un homme saturé d’orange, mais pas seulement, un saturé accompagné de secrétaires, majordomes, amis, collaborateurs, sous-fifres, exécutants, facilitateurs, approbateurs, aquiesceurs, obéissants, enthousiastes, exploitants pour leur compte, exploitants dogmatiques fanatiques, et les indifférents aussi y prennent leur part. Travailler dans son coin sur la migration des papillons ne protège pas, plus le droit de parler entre chercheuses chercheurs, biodiversité et climat sont des mots non utilisables. C’est juste un dévoilement de ce qui existait avant enrobé de récits, mais sans récit peut-être. On avait vendu quelque chose de beau et d’accueillant, mais dans les couloirs peu éclairés c’était presque plus grave, Valeria Luiselli racontait les coulisses, le mensonge. Plus besoin de faire semblant, plus de récit intègre. Ou alors c’est un autre récit, basique, brutal, catch et coup de poing, et assumé. C’est son museau ici, sous le brouillard, le mot transphobie repoussé sur le côté, mais peut-être qu’on s’inquiète pour rien. Je n’avais pas prévu de faire de ce block note une compilation de "je respire mal", mais c’est peut-être nécessaire, un prérequis avant l’envie de retrouver le souffle.

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Messages
1. block note - brouille, 13 février, 18:42, par Annick Brabant
Superbe ce qui se dessine en regard de ce brouillard... et la photo !
1. block note - brouille, 14 février, 10:14, par c jeanney
Merci Annick ! (c’est vrai que le temps n’était pas lumineux mais calme)
2. block note - brouille, 13 février, 19:17, par brigitte celerier
continuons à parler, à apprendre, sur la migration des papillons et autres choses ne serait-ce que pour ne pas entrer dans le brouillage organisé pas tant par l’homme orange que par tous les financiers qui prennent le pouvoir sur le monde, qui jugent préférable d’investir des milliards dans la fabrique d’une réalité virtuelle où nous perdons le sens, organisé pour amuser le peuple pendant que toutes ses défenses sont détruites (en lui désignant les boucs émissaires et anihilant les cerveaux)... vivent les papillons, les lucioles, les anges et l’histoire du costume ou les couleurs des ailes des libellules - l’amitié aussi et la bienveillance
1. block note - brouille, 14 février, 10:14, par c jeanney
Merci Brigitte, tout ce que tu dis est d’or+++++
3. block note - brouille, 14 février, 06:41, par PdB
je ne sais pas trop ce qui me revient mais je le mets là, j’espère ne pas encombrer - mais c’est un block note aussi en commentaires - il y avait sur la scène du petit théâtre à côté de Saint-Germain-des-Près un type qui disait la tirade de Perdican (on ne badine pas avecl’amour, Alfred de Musset)
Adieu, Camille, retourne à ton couvent, et lorsqu’on te fera de ces récits hideux qui t’ont empoisonnée, réponds ce que je vais te dire : tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux ou lâches, méprisables et sensuels ; toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et dépravées ; le monde n’est qu’un égout sans fond où les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange ; mais il y a au monde une chose sainte et sublime, c’est l’union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux. On est souvent trompé en amour, souvent blessé et souvent malheureux ; mais on aime, et quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière, et on se dit : j’ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois, mais j’ai aimé. C’est moi qui ai vécu, et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui.
oui. Quand même. Bientôt le printemps
1. block note - brouille, 14 février, 10:15, par c jeanney
"C’est moi qui ai vécu, et non pas un être factice" (si on part de là, on peut gagner je crois) (Merci Piero))))